Bien que d'autres scénarios demeurent encore évocables, la décision du Premier ministre tunisien Hamadi Jebali de former son propre cabinet technocrate semble prendre l' allure d' un gouvernement de coalition composé certes par des compétences neutres à la tête des ministères techniques (Investissement, Commerce, Développement...) mais renforcé par des politiciens qui seront les représentants de la légitimité acquise depuis les élections de la Constituante en octobre 2011.
TROIS SCENARIOS POSSIBLES
"Si cette composition est acceptée notamment par les partis représentés à la Constituante, je resterais à la tête du gouvernement, mais en cas de refus ou de retrait de confiance, je m' adresserais au président de la République pour lui demander de désigner un autre candidat pour former un gouvernement susceptible d' être plébiscité par la Constituante", avait déclaré M. Jebali quelques jours après l' annonce de son initiative.
Il s' agit en effet des deux premiers scénarios possibles. Une fois acceptée par les différents partis politiques, la formation d' un nouveau gouvernement apolitique pourrait calmer la tension populaire qui ne cesse de s' amplifier à travers des manifestations de tous côtés (islamistes, progressistes, laïcs et gauche) d' autant plus que la Constituante aura la chance de finaliser rapidement la Constitution et la Tunisie avance vers des élections présidentielles et législatives qui rassureront les Tunisiens tout comme les partenaires étrangers de la Tunisie.
Sinon, le Premier ministre Hamadi Jebali présenterait au Chef d' Etat Moncef Marzouki sa démission, synonyme de la dissolution de l' actuel gouvernement. Dans ce cas, le président Marzouki chargera une autre personnalité politique issue de la majorité parlementaire (qui n' est autre que le parti islamiste Ennahdha) pour former un nouveau gouvernement.
S'agissant de ce deuxième scénario (démission du Premier ministre) et en se référant à la loi portant sur l' organisation provisoire des pouvoirs publics en Tunisie (petite-constitution), la situation se veut relativement plus compliquée et reviendrait à la case départ: former un nouveau gouvernement fondé sur le quota politique compte tenu de la durée que devraient prendre les procédures nécessaires (environ trois semaines).
A la lumière du refus catégorique de l' initiative du Premier ministre de la part de son parti Ennahdha, du Congrès pour la République (CPR) ainsi que d' autres partis bien représentés à la Constituante (Pétition populaire et mouvement "WAFA"), un troisième scénario pourrait être des plus jouables par M. Jebali qui vient de reporter son "verdict" pour lundi dans l' attente des résultats des négociations avec les partis politiques y compris ceux de l' opposition et non représentés à l' Assemblée.
"Le scénario d' un gouvernement de technocrates n' est plus évocable puisque tous les blocs parlementaires sont désormais contre cette option et pourrait, le cas échant, en retirer la confiance", a déclaré samedi à l' Agence de presse Xinhua le porte-parole de la présidence de la République et membre du bureau politique du Congrès pour la République Adnen Manser.
S' exprimant confiant, M. Manser a confié au correspondant de Xinhua que "la solution consiste en un nouveau gouvernement de coalition fondé sur une large base représentative des élus du peuple (Assemblée constituante) ". Ce nouveau cabinet, a-t-il poursuivi, regrouperait des technocrates à la tête des ministères techniques renforcés par "un poids politique partant de la légitimité de la Constituante".
LES ISLAMISTES POURRAIENT QUITTER LE POUVOIR
La situation générale en Tunisie aggravée par un tissu social sous tension, un constat sécuritaire incertain et une crise au sommet du pouvoir se veut plus préoccupante que celle observée au lendemain de la révolution du 14 janvier 2011 puisque les analystes tunisiens commencent à prévoir des scénarios de guerre civile, de chaos sécuritaire et chute économique si la sagesse, la raison et l' intérêt suprême de l' Etat ne l' emportent pas.
"Une fois incapable de dépasser la crise actuelle que connait le pays, la direction du mouvement Ennahdha tout comme ses deux alliés devront céder le pouvoir au plus méritant", s' est exprimé Abdelfattah Mourou, vice-président d' Ennahdha dans une déclaration au magazine français Marianne.
Connu par les Tunisiens comme "l' aile modérée du mouvement", M. Mourou (avocat) réalise que "la crise islamo-islamiste bat son plein au sommet de l' Etat tunisien". Il faut qu' une nouvelle génération apprenne à concilier l' islamité et la modernité "parce que le problème de Tunisie ne se situe pas entre les islamistes et les laïcs, la clé, pour reproduire les termes de M. Mourou, c' est la modernité".
Mis à part ce conflit politico-idéologique "pas étonnant" pour un peuple "pas habitué de ce type de crise", la Tunisie doit réellement relever un défi urgent la stabilité sécuritaire en l' occurrence. "Le pays passe par une étape difficile sur le plan sécuritaire bien que tout demeure sous contrôle", a confié à Xinhua le porte-parole de la présidence tunisienne Adnen Manser.
L' institution sécuritaire tunisienne, a-t-il expliqué, "est en pleine réforme mais d' énormes défis restent à relever quant à l' efficacité de l' appareil sécuritaire qui se trouve face aux menaces terroristes, aux tiraillements politiques internes mais également face à la contrainte de préserver les libertés dont celle de manifester et de s' exprimer dans la rue".
Depuis l' assassinat mercredi 6 février 2013 de l' un des figures de proue de l' opposition tunisienne Chokri Belaïd, la Tunisie subissait un électrochoc politique et socioéconomique relativement atténué par la décision "courageuse" du Premier ministre Hamadi Jebali ayant opposé sa propre hiérarchie islamiste majoritaire pour proposer un nouveau gouvernement apolitique apprécié, certes, par l' opposition et une majorité populaire mais bloqué par les légitimités constitutionnelle et électorale qui sont sur la voie de l' emporter.