Pour booster sa production et sa productivité agricoles, le Cameroun multiplie les initiatives visant à mettre à la disposition des agriculteurs du matériel végétal de qualité et performant, grâce à la recherche qui s'emploie à rassurer en annonçant d'importants travaux suivis de résultats intéressants sur le palmier à huile, le coton, le dattier, la vigne et d'autres spéculations.
Premier marché africain de vins Bordeaux par exemple, avec une progression de 10% en 2012 selon une délégation de viticulteurs français en visite en ce moment dans le pays, la première économie de la Communauté économique et monétaire (CEMAC) ne veut point se contenter de ce statut de grand importateur de vins s'appuyant sur de petites expériences de production locale à faible impact économique.
"Nous sommes en train d'apprivoiser le raisin, le pommier, le dattier pour que ce ne soit plus importé", a révélé à Xinhua Dr. Anselme Kameni, directeur de la valorisation et de l'innovation au ministère de la Recherche scientifique et de l'Innovation.
Menées dans les environs de Garoua, la principale ville de la région du Nord du pays, les premières expériences sur la vigne remontent à 1998.
"On est en train de les réaménager, de les réintroduire, de les réadapter. Nous avons introduit trois cultivars qui sont en train de s'adapter et quand ces cultivars seront complètement mûrs et prêts, nous allons passer à la phase de vulgarisation des boutures ", renseigne le chercheur.
"La vigne se fait par bouturage. Une fois que tous les paramètres techniques seront maîtrisés, on va donc faire des boutures et passer à la phase de pré-vulgarisation, ensuite à la phase de mise à disposition aux utilisateurs", poursuit-il.
JOURNEE DE PROMOTION DES SEMENCES AMELIOREES
Cette recherche a été mise en évidence lors de la Journée de promotion des semences améliorées de base le 14 mars à Yaoundé qui visait, selon la ministre de la Recherche scientifique et de l'Innovation, Madeleine Tchuinté, à "apporter un accompagnement significatif aux producteurs camerounais par la mise à disposition en début de campagne agricole de la meilleure semence, adaptée à leurs zones agro-écologiques".
L'occasion a donné lieu à la présentation au public des récents résultats de la recherche menée par l'Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD, organisme gouvernemental sous tutelle du ministère de la Recherche scientifique et de l'Innovation), au rang desquels, d'après la ministre, la collection des agrumes du verger expérimental de Kistamari, localité près de Garoua.
Menacée de disparition, cette collection, a indiqué Madeleine Tchuinté, "a été reconstituée avec près de 150 variétés d'agrumes remis dans son parc à bois. Une réorientation des activités de ce verger lui donne comme priorité la production des greffons indispensables à la production des plans greffés. La vigne réintroduite de Kismatari a produit ses premières grappes".
Selon elle encore, "nous avons dans ce verger en ce moment, trois variétés de raisin de table dont la production est maîtrisée par les chercheurs, et sept variétés de palmier dattier de haute performance dont nous comptons intensifier la production à travers la biotechnologie de vitro-plants".
Avec ces travaux, la recherche camerounaise est soucieuse de parvenir aux mêmes succès que ceux obtenus au sujet de la pomme de terre qui s'importait encore d'Europe il y a une dizaine d'années. "Le Cameroun a de la matière aujourd'hui pour que dans dix ans, si des efforts continus sont menés, on n'importe plus certains produits agricoles", soutient Anselme Kameni.
LARGE GAMME DE VARIETES AMELIOREES
Pour la ministre Tchuinté, "an plus des acquis enregistrés jusqu'en 2012, et qui font déjà l'objet de diffusion, de nouveaux résultats sont venus enrichir la large gamme de variétés améliorées produites par l'IRAD. Ainsi, on peut citer parmi les cultures vivrières : 7 nouvelles variétés de haricot pour les hautes et moyennes altitudes ; 2 variétés de maïs dont une tolérante à la sécheresse et l'autre au striga pour le Nord- Cameroun ; 5 nouvelles variétés de manioc ; 8 variétés de riz NERICA dont 4 de riz pluvial et 4 de riz irrigué ; 5 variétés de sorgho de contre-saison."
En matière de cultures pérennes ou d'exportation, les progrès mentionnés font ressortir "7 hybrides de cacao plus productifs et à court cycle ; des champs semenciers de cacaoyers et de caféiers robusta et arabica à Barombi-Kang dans la région du Sud-Ouest, Koemvone dans la région du Sud et Foumbot dans la région de l'Ouest ; 2 nouvelles variétés de coton pour substituer aux variétés IRMA, mises au point par l'IRAD de Maroua, en vulgarisation depuis les années 80".
A propos du palmier à huile, les variétés améliorées du Tenera mises au point par le Centre spécialisé de recherche de la Dibamba (CEREPAH) produisent à partir de 3 à 4 ans seulement, soit pratiquement une réduction de moitié du cycle par rapport à celui du semis des graines tout-venant qui "laisse les planteurs sans récolte au bout des sept années de dur labeur".
D'après les chercheurs, cette culture, introduite à la période coloniale allemande, c'est-à-dire entre la fin de 19e siècle et la fin de 20e siècle, existe sous les trois formes : Dura, Tenera et Pisifera. Le Tenera est un hybride obtenu en croisant les formes Dura (coque épaisse, peu de pulpe) et Pisifera (pas de coque, uniquement de la pulpe mais femelle stérile dans 97% des cas). Il présente une coque mince et une pulpe épaisse, ce qui permet d'avoir des rendements en huile élevés.
"Grâce à deux cycles de sélection développés en plus de 50 années de recherche déjà, les rendements des variétés de Tenera améliorées du second cycle de sélection mises au point au CEREPAH présentent des rendements en huile supérieure de plus de 36% à ceux du matériel spontané (sauvage) Tenera de départ", affirme la ministre de la Recherche scientifique et de l'Innovation pour qui ces variétés ont la particularité d'être tolérantes à la fusariose, la principale maladie du palmier à huile.
Ces hybrides datent des années 1985-1990 et sont largement vulgarisés depuis 1995, explique Dr. Kameni qui annonçait un stock de 10.000 graines pré-germées dans les stands de la Journée de promotion des semences améliorées de base. "Ça veut dire que tous ceux qui vont demander des noix en cette période seront servis. On a 10.000 graines et il faut 150 graines par hectare. Donc, regardez combien de surfaces ça peut couvrir".
PRODUCTION D'HUILE DE PALME EN HAUSSE
A en croire le chercheur, c'est ce qui explique l'augmentation de la production nationale d'huile de palme, avec une courbe de 26% en 2012, soit 265.000 tonnes contre 210.000 l'année précédente, d'après statistiques fournies par le ministère de l'Agriculture et du Développement rural.
"La production augmente énormément, avance-t-il. Les savonneries que nous avons importaient de l'huile de palme. Aujourd'hui, ces savonneries sont approvisionnées à partir de l'huile de palme produite localement. C'est le Cameroun qui produit l'huile pour le savon pour toute l'Afrique centrale".
Mais, comment comprendre le gap de 100.000 tonnes déclaré par rapport aux besoins du marché national, un déficit responsable de flambées des prix ? "La population a augmenté. Les besoins en termes de savon ont augmenté. Peut-être qu'au niveau du marché on attend de voir le prix de l'huile baisse à 250 francs. Mais non, l'huile va aussi suivre le coût de l'inflation", explique-t-il cependant.
Les progrès de la recherche n'ont pas permis un accès garanti des semences améliorées de base au profit de l'ensemble des acteurs de la filière agricole, d'où une production et une productivité limitées qui poussent les autorités à investir d'énormes sommes d'argent (des centaines de milliards de francs CFA) pour les importations de denrées alimentaires, dont le riz, les maïs, le blé, les huiles végétales, etc.
"Si les sociétés de développement telles que la SODECOTON ( Société de développement du coton, étatique, NDLR), la SOCAPALM ( Société camerounaise des palmeraies), la CDC (Cameroon Development Company) et bien d'autres maîtrisent les circuits d'approvisionnement en semences améliorées, tel n'est pas le cas des petits producteurs", reconnaît la ministre de la Recherche scientifique et de l'Innovation.
L'institution des Journées de promotion des semences améliorées de base prévues de poursuivre en avril dans les différents chefs- lieux de régions du pays vise à corriger cette lacune.
Par Raphaël MVOGO