Le 27 janvier 2014 marquera le 50ème anniversaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine par la France, présidée par le Général de Gaulle. Cette date est importante car elle nous incite à remettre à sa juste place un événement aussi considérable dans l'histoire des relations internationales.
Cet acte de reconnaissance est d'abord l'expression de l'intelligence stratégique et de la compréhension des réalités du monde. Ecarter de la communauté des nations un pays aussi essentiel à l'Histoire qu'est la Chine était aberrant. Il était nécessaire qu'un homme du prestige et de la culture du Général de Gaulle relevât ce défi et permît ainsi à la Chine de retrouver sa place dans ce concert mondial.
Cet acte témoigne aussi du courage politique, celui qui consiste à oser dépasser les conventions et la logique d'un monde fermé sur ses certitudes.
Cet acte témoigne enfin de la capacité d'interpréter le monde réel et d'avoir une vision de son avenir.
Le Général de Gaulle a ainsi rendu un service considérable à la Chine. Les Chinois le savent et n'oublient pas ce coup d'éclat prémonitoire et salvateur qui rendra possible, quelques décennies plus tard, la politique d'ouverture de Deng Xiaoping. En ouvrant une brèche dans l'isolement de la Chine, la France a facilité la normalisation de ses relations avec le reste de la communauté internationale.
Ce geste décisif constitue un lien franco-chinois d'une telle solidité que les divers accrochages, même les plus tendus, qui eurent lieu entre deux pays politiques si différents, ne parvinrent pas à le remettre en cause.
Un demi-siècle plus tard, notre devoir est de maintenir par tous les moyens la solidité de ce lien, en commençant par entretenir le souvenir d'un geste aussi mémorable. Mais ce n'est pas suffisant.
Du côté français, nous devons dépasser cet acte de reconnaissance politique et oser un nouvel acte, celui-là de « reconnaissance culturelle ». Il nous faut reconnaître que l'universalisme dont nous faisons notre oriflamme sous couvert des idées occidentales ne peut dépasser les frontières de l'humanisme. Si celui-ci est commun aux sept milliards d'habitants de notre planète terre, en revanche les chemins pour y accéder peuvent (et doivent) être divers. Parmi les civilisations qui enrichissent notre humanité, nous devons reconnaître toute sa place et son importance à la civilisation chinoise et admettre avec elle que le monde est multiple. Notre mondialisation, qui nous a tant apporté aux uns et aux autres sur le plan économique, ne doit pas se réduire sur le plan culturel à une uniformisation sous influence américaine ; ce serait un déni de la réalité culturelle du monde. Aucune de nos civilisations n'est supérieure à l'autre ; mais elles sont d'évidence complémentaires, et cette complémentarité est le symbole même du monde chinois dans sa conception du yin et du yang. Ce que le yin est au yang, la Chine l'est au monde occidental : la chance de l'altérité, le refus de l'identique universel.
Comme en 1964, il faudrait aujourd'hui un regard neuf et une nouvelle intelligence du monde en train de se réformer et de se réorienter ; il faudrait aussi avoir le courage de briser les vieux préjugés, d'oser bouger les lignes si bien tracées et qui ordonnent d'éternels clivages.
Du côté chinois, maintenant que la Chine, en partie grâce au Général de Gaulle, est à nouveau une puissance de rang mondial, nous serions sensibles à ce qu'elle témoigne, à son tour, de sa reconnaissance. Certes, de nombreuses et magnifiques cérémonies vont marquer de part et d'autre la commémoration du 27 janvier en même temps que le Nouvel An chinois, à l'aube de l'année faste et dynamique du « cheval ». Mais nous attendons plus.
Ce que la France a fait pour la Chine en 1964, il serait bien que la Chine le fasse avec la France en 2014. Certes, il ne peut s'agir d'un geste de même nature puisque la France a une position mondiale solide et incontestable. Les difficultés économiques actuelles de la France ne doivent pas nous aveugler ; elle seront surmontées et la Chine serait la bienvenue si elle souhaitait s'associer à nos efforts. Mais l'essentiel n'est pas là ; il se situe au niveau mondial dont se réclamait le Général de Gaulle. La Chine et la France, en cette année cruciale pour l'avenir des relations internationales, notamment au Moyen-Orient et en Afrique, pourraient coopérer étroitement pour la sécurité et le développement du continent africain. Leurs intérêts réciproques y sont importants. Mais, au-delà de nos visions nationales, les peuples africains ont besoin de notre aide et de notre soutien. Que ceux-ci soient concertés et conjugués ne pourrait qu'amplifier des résultats déjà prometteurs et permettre aux pays africains de rattraper leur retard et de satisfaire ainsi les besoins des populations.
Nous serions tous gagnants, selon une expression aujourd'hui familière. Et l'amitié entre la Chine et la France trouverait un terrain où s'exprimer utilement et concrètement. Un tel engagement pourrait démontrer que les différences politiques et culturelles entre nos deux pays peuvent être surmontées et même devenir une force dans un projet commun.
La sagesse que nous lègue le geste du 27 janvier 1964 c'est que nous appartenons au même monde et que nous devons surmonter nos différences pour le rendre plus pacifique et plus harmonieux.
MA Yike Jiangjun
alias Général Eric de La Maisonneuve