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Dissuasion nucléaire : la proposition du président français fait débat
Le président français Emmanuel Macron a réitéré récemment sa proposition d'élargir la protection nucléaire française aux pays européens. Une idée qu'il avait déjà évoquée lors du sommet au Royaume-Uni le 2 mars et lors du dernier conseil européen jeudi à Bruxelles. Cette initiative a suscité des réactions diverses en Europe et au-delà, notamment en raison de ses implications stratégiques et diplomatiques.
Lors d'une allocution télévisée mercredi et du sommet des 27 pays européens jeudi à Bruxelles, M. Macron a relancé l'idée d'une dissuasion nucléaire française étendue aux partenaires européens. Selon lui, la France, seule puissance nucléaire de l'Union européenne depuis le Brexit, pourrait offrir une garantie stratégique supplémentaire face aux menaces croissantes, notamment celles de la Russie.
"Notre force de frappe est un élément central de notre souveraineté et elle peut être un pilier de la sécurité européenne", a-t-il dit. L'idée d'un "parapluie nucléaire" français pour l'Europe repose sur une logique de mutualisation des capacités stratégiques et de renforcement de l'autonomie européenne en matière de défense. Cette perspective pourrait s'inscrire dans un contexte de remise en question progressive de la dépendance européenne à l'OTAN.
Lors d'un entretien au Figaro, M. Macron a assuré que les principes cardinaux de la dissuasion demeureraient. "Le président de la République prend la décision totalement souveraine et toujours confidentielle d'utiliser les armes nucléaires. Mais le général de Gaulle et mes autres prédécesseurs ont toujours dit que les intérêts vitaux avaient une dimension européenne", a-t-il noté. Le locataire de l'Elysée s'est dit prêt à une inflexion importante. "Ceux qui souhaitent approfondir le dialogue avec nous pourront, le cas échéant, être associés aux exercices de forces de dissuasion. Ces échanges participeront au développement d'une véritable culture stratégique entre Européens", selon lui.
UNE EUROPE DIVISEE FACE A LA PROPOSITION FRANCAISE
Cette annonce a suscité des réactions contrastées parmi les dirigeants européens. L'Allemagne, tout en saluant l'initiative, préfère renforcer la coordination avec l'OTAN plutôt que de s'appuyer sur une protection exclusivement française. Le futur chancelier allemand Friedrich Merz avait dit sur la chaîne ZDF qu'il était nécessaire de discuter avec les puissances nucléaires européennes, la France et le Royaume-Uni, du partage nucléaire ou au moins de la sécurité nucléaire. La Pologne et les pays baltes, membres de l'OTAN et directement exposés à la menace russe, restent prudents mais ouverts à la discussion. Le président lituanien, Gitanas Nauseda, a salué "une proposition intéressante : toute opportunité pour améliorer notre dissuasion est bienvenue".
Le Premier ministre polonais Donald Tusk a salué une idée française "très prometteuse". Selon lui, "coordonner toutes nos capacités en Europe pour construire une vraie force militaire est ce qui nous donnera un avantage clair contre la Russie". En revanche, certains pays comme l'Autriche, historiquement opposés à l'armement nucléaire, ont rejeté l'idée.
En France, la classe politique est divisée. Si plusieurs responsables de la majorité soutiennent le président, certains élus de l'opposition comme Marine Le Pen (RN) ou Jean-Luc Mélenchon (LFI) s'interrogent sur les implications stratégiques et budgétaires d'une telle extension. Quant à la Russie, le Kremlin a vivement réagi, qualifiant la proposition française de "provocation", accusant Paris de vouloir militariser encore davantage l'Europe. Le discours du président Emmanuel Macron, accusé de vouloir "que la guerre continue", a été dénoncé par Moscou comme représentant une "menace".
UNE DISSUASION "COMPLETE ET SOUVERAINE" : RETOUR SUR L'INDEPENDANCE NUCLEAIRE FRANCAISE
M. Macron a tenu à rappeler que la dissuasion nucléaire française est "complète, souveraine, française de bout en bout". Un principe qui remonte à la stratégie initiée par Charles de Gaulle dans les années 1960.
Désireux d'assurer l'indépendance stratégique de la France, le général de Gaulle a développé une force de frappe autonome, reposant sur la force nucléaire, des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins et des missiles aéroportés. Cette doctrine a été maintenue et modernisée par les présidents successifs, faisant de la France l'une des rares nations à détenir une capacité de riposte nucléaire indépendante.
Aujourd'hui, la question reste de savoir si cette force doit rester un atout strictement national ou s'étendre à l'ensemble du continent. Cela laisse planer plusieurs interrogations en France : pourquoi les contribuables français devraient-ils faire profiter aux autres du fruit d'années de sacrifices et d'investissement pour se doter de l'arme nucléaire ? Un débat qui, au vu des tensions internationales, promet de continuer à animer les discussions européennes et internationales.
Selon des observateurs, en dépit de certaines réserves, l'idée d'une dissuasion européenne structurée autour de la force française pourrait rebattre les cartes de la sécurité du continent pour les années à venir et créer une solidarité forcée entre Etats qui appartiennent à une alliance bien que leurs intérêts géostratégiques ne convergent pas toujours.