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La Chine et le Sud Global émergent avec le vent d'Orient
Jusqu'à la fin du 20e siècle, quand les États-Unis éternuaient, le monde entier s'enrhumait. Mais à présent le moindre éternuement de la Chine impacte des plus petits pays jusqu'au géant américain. Si le Sud Global en général n'en attrape pas un rhume mais un réconfort, le Nord, en revanche, s'en trouve hanté et esseulé.
Oui, le monde est en train de changer de base, l'unipolarité cède face à la poussée du multilatéralisme.
C'est le réveil des peuples jadis colonisés avec, en tête, la République Populaire de Chine qui est sortie d'un siècle d'humiliation que lui avaient infligée des puissances prédatrices comme le Japon, l'Angleterre, l'Allemagne, le Portugal, la Russie tsariste, la France, les États-Unis, etc.
La fin de ces moments de ténèbres a été signifiée au monde entier quand, le 1er octobre 1949, du haut de la tribune de la Porte de la Paix Céleste (Tian'anmen) le Président Mao Zedong a déclaré que la Chine était à nouveau et pour toujours debout, pendant la célébration de la victoire sur le Guomindang et les forces impérialistes. Ce fut l'épilogue d'une guerre populaire prolongée intense de 22 ans (1927-1949) avec comme fer de lance l'alliance des ouvriers et des paysans sous le leadership d'un Parti communiste dirigé par des stratèges politiques et militaires hors pair. Ces derniers ont eu la vision d'unir l'essentiel du peuple en forgeant une large et solide alliance patriotique avec les autres partis et forces démocratiques, des plus petits aux plus significatifs. Cela leur a permis d'isoler les forces réactionnaires apatrides. Toutefois le tribut payé a été lourd avec 21 millions de martyrs et des destructions d'infrastructures massives. Il est clair, comme l'a si bien dit le Président Mao, que « la révolution n'est pas un dîner de gala ».
Ce mouvement a forgé une conscience sociale d'une responsabilité collective pour la préservation de la souveraineté nationale, pour une mobilisation dans le travail d'édification d'une puissance économique contribuant à la paix mondiale.
Dans cette nouvelle ère, de Mao Zedong à Deng Xiaoping et à Xi Jinping, le Parti des travailleurs a œuvré avec clairvoyance, pragmatisme et résilience pour tirer le pays des abysses du sous-développement. Et c'est ainsi que ce pays vaste de 9,6 millions de kilomètres carrés avec 1 milliard 400 millions d'habitants a accompli des prouesses sans précédent dans l'histoire de l'humanité.
En 40 ans (1980-2020), sans empiéter sur la liberté d'aucun autre peuple, la Chine a réussi un développement économique que l'occident n'a pu réaliser qu'en plus de 200 ans et en ravageant le reste du monde à travers la traite et l'esclavage des Africains, la colonisation de presque tous les pays non européens, des guerres de rapine pour le repartage du monde (1914-1918; 1937-1945). Soulignons ici la date de 1937 car ce fut le début de la deuxième guerre quand le Japon impérialiste envahit la Chine. Pour les européocentristes qui se considéraient comme le centre du monde la vie des autres ne compte pas.
Cet état d'esprit saugrenu est maintenant battu en brèche principalement par la Chine qui a dépassé tous les pays d'Europe pour se placer en tête dans le classement en termes de parité de pouvoir d'achat devant les États-Unis et deuxième en termes de production intérieure brute derrière ceux-ci. En plus, au lieu de créer au passage une armée de SDF (sans domicile fixe) comme c'est le cas en occident, la Chine a plutôt réalisé un développement inclusif. En effet, en 40 ans, la République Populaire a fait sortir de l'extrême pauvreté plus de 800 millions de personnes pour éradiquer définitivement ce fléau à l'intérieur de ses frontières. À ce jour cinq accès sont assurés à tous les Chinois : la route, l'eau, l'électricité, la téléphonie et l'internet. Elle a aussi frayé la voie à l'épanouissement d'une classe moyenne aisée de plus de 500 millions d'hommes et de femmes qui pourvoient la population touristique la plus importante au monde.
Au-delà, la Chine n'exporte pas le chaos et la pauvreté mais la décence qu'elle a envers son peuple. Au lieu de s'emmurer comme d'autres le font, elle accompagne ses voisins en s'ouvrant à eux et en les assistant dans la construction d'infrastructures routières et ferroviaires de pointe mais aussi dans la mise sur pied de parcs industriels de transformation agricole, énergétique et minière, de production de biens et de pourvoi de services. Ceci a fortement contribué à faire de l'orient un véritable pôle des échanges commerciaux. L'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) est rapidement devenue le premier partenaire commercial de la Chine.
La Chine entretient d'excellentes relations fraternelles avec ses nombreux voisins à travers l'Organisation de la Coopération de Shanghai. De telles relations de bon voisinage ont grandement facilité le déroulement du méga projet stratégique « La Ceinture et la Route » (la Nouvelle Route de la Soie) que la Chine a déjà signé avec plus de 150 pays et 30 organisations à travers le monde.
L'Initiative « La Ceinture et la Route » a été élaborée par le Président Xi Jinping et exposée au monde par lui en 2013 à Astana, au Kazakhstan. Son but ultime est de faciliter la connexion et les échanges via des voies multipolaires. Pour ce faire la Chine, construit dans les pays impliqués un ensemble d'autoroutes, de lignes de chemins de fer, de ports, d'aéroports, de réseaux de télécommunications mais aussi assiste ceux-ci dans le transfert de technologies avec des facilités d'entrée dans ses universités et la formation massive de techniciens sur place.
La volonté de la Chine d'œuvrer à la réalisation d'un monde multipolaire est manifeste dans son implication dans certaines organisations transcontinentales.
C'est le cas avec les BRICS-Plus où les pays qui y participent sont surtout motivés par le besoin de se soustraire de tout diktat et de préserver leur souveraineté pour un développement économique indépendant.
C'est également le cas quand la Chine a invité le monde entier à participer à la fondation de la Banque Asiatique d'Investissement dans les infrastructures. Les pays d'Europe occidentale en sont des membres fondateurs malgré le lobbying dissuasif des Américains. Si le Japon se range derrière les Américains, la Russie, pour sa part, et la plupart des pays d'Asie en sont des membres fondateurs.
Même l'Afrique y est représentée avec la présence de l'Egypte, de l'Afrique du Sud, du Nigeria, etc…
Il est salutaire que l'Afrique ait compris le changement de paradigme géopolitique relativement tôt en initiant le premier Forum de Coopération avec la Chine, le FOCAC, en 2000.
Et en 2009 la Chine est devenue le principal partenaire économique du continent dépassant les États-Unis. Depuis, l'écart s'est toujours creusé car la Chine n'a pas cessé d'accompagner le continent dans la prise en charge de ses trois problèmes majeurs identifiés que sont le sous-développement des infrastructures, le déficit en travailleurs professionnels hautement qualifiés et les ressources financières insuffisantes.
La mise en œuvre des grandes politiques de coopération entre la Chine et l'Afrique est plus visible dans les parties australe, centrale et surtout orientale du continent. L'exemple le plus patent est le cas de l'Ethiopie qui est passée du statut de pays assisté à celui avec le taux de croissance le plus élevé à 10% d'une année sur l'autre. Des parcs industriels avec la délocalisation d'entreprises aux lignes ferroviaires qui lui donnent accès à la mer à Djibouti et à la coopération politique, l'Ethiopie connaît un développement cadencé et pratique une politique de paix avec ses voisins, en particulier avec l'Érythrée.
La succès story de l'Afrique et de l'ASEAN dans leurs rapports gagnant-gagnants avec la Chine a inspiré toutes les autres parties du Sud global qui leur ont emboîté le pas en formalisant elles aussi leurs relations avec Beijing. Se sont ainsi succédés les fora, Ligue Arabe-Chine, en Amérique Latine CELAC-Chine, en Europe de l'Est le Forum 17 plus 1, Asie Centrale-Chine.
Avec la Chine, le Sud Global a sonné le glas de l'unilatéralisme et de l'hégémonisme.
Il est donc heureux donc de constater que le Sénégal a perçu la tendance et entend s'y inscrire résolument.
Depuis qu'à Paris en juin 2024 le Président Diomaye a pointé la direction des BRICS-Plus, il s'en est suivi sa participation remarquable au sommet du FOCAC en Chine en septembre 2024. Et pour consolider tout cela le Premier Ministre Sonko vient de se rendre en Chine pour la signature d'accords d'accompagnement du Sénégal dans le projet d'émergence à l'horizon 2050.
Puissent de tels accords doter le pays d'une agriculture moderne mécanisée fournissant des produits de base pour une industrie de transformation diversifiée; un élevage intensif qui mettrait un terme à la transhumance et produisant des rendements élevés; des équipements pour une pêche industrielle compétitive; des connectivités routières, ferroviaires, fluviales et aériennes pour décloisonner tous les coins du pays pour des échanges fluides entre producteurs mais aussi pour une aisance dans le commerce intra africain; une capacité de transformation sur place de nos immenses ressources minières et énergétiques; un transfert de technologies permettant d'emprunter l'école chinoise de copier-corriger-améliorer-innover, cette voie éprouvée qui a placé la Chine en tête dans la production de brevets d'invention très loin devant les États Unis. Mais aussi une participation au programme spatial de la Chine à l'instar du Kenya et d'autres.
En un mot, puisse le Sénégal faire comme l'Ethiopie et même plus dans une Afrique qui gagne, qui s'unit et qui joue pleinement sa partition dans ce monde multipolaire qui s'est enclenché.
(Par Cheikh Ibrahima Niang, membre du And-Jëf/parti africain pour la démocratie et le socialisme du Sénégal)