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L'Europe en quête d'une position unifiée sur un cessez-le-feu à Gaza
Plus de deux mois après le début du conflit entre Israël et le Hamas, la violence ne semble pas près de prendre fin au Moyen-Orient, et l'Europe voisine peine toujours à s'unir autour d'un appel au cessez-le-feu à Gaza.
Le sommet de l'Union européenne (UE) s'est achevé le 15 décembre sans qu'aucune position ferme ne soit trouvée sur le conflit ou sur un appel à un cessez-le-feu immédiat, et ce bien que 17 des 27 Etats membres aient voté en faveur de la résolution des Nations Unies appelant à un cessez-le-feu le 12 décembre. En octobre, par contre, seuls huit membres de l'UE avaient voté en faveur d'une résolution de l'ONU demandant une trêve.
Malgré une forte volonté européenne d'intervenir, le conflit déchire également l'UE, révélant de profondes divisions politiques, sociales et économiques et suscitant de graves inquiétudes au sein du public.
DE PROFONDES DIVISIONS
La réponse de l'Europe au conflit entre Israël et le Hamas a été chaotique, et les divisions ont été immédiatement évidentes au sein de l'UE. La déclaration de soutien inconditionnel à Israël de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, ainsi que ses réactions initiales à l'attaque du 7 octobre, ont nettement contrasté avec l'approche d'autres dirigeants de l'UE, comme le chef de la politique étrangère du bloc Josep Borrell, et ont irrité de nombreuses personnes à Bruxelles et dans les capitales des Etats membres.
Près de trois semaines après le début du conflit, les pourparlers de dernière minute qui ont eu lieu lors d'un sommet de l'UE ont porté sur la question de savoir s'il fallait appeler à "une pause" ou à "des pauses". Le bloc, qui peine à s'entendre sur une position unifiée, s'est largement limité à soutenir le droit d'Israël à se défendre dans le cadre du droit international, et a finalement appelé à "des pauses".
Certains pays membres, comme l'Allemagne, l'Autriche, la République tchèque et la Hongrie, ont exprimé un fort soutien à Israël, tandis que d'autres, dont l'Irlande, la Belgique et l'Espagne, ont critiqué l'action militaire israélienne.
La France a pour sa part appelé à une trêve humanitaire qui ouvrirait la voie à un cessez-le-feu.
La cacophonie des messages envoyés par l'Europe a non seulement révélé un "manque déplorable de coordination entre les responsables de l'UE", mais a également mis en lumière les divisions de longue date entre les Etats membres, dont certains soutiennent Israël inconditionnellement, tandis que d'autres ressentent une égale sympathie pour la souffrance des Palestiniens, a déclaré dans un article en ligne Stefan Lehne, chercheur auprès du groupe de réflexion Carnegie Europe.
A Londres comme à Paris ou à Berlin, les pays européens ressentent les ondes de choc de la crise au Moyen-Orient, et luttent pour trouver un équilibre entre la crainte d'assister à une montée de l'antisémitisme et le respect des droits des manifestants qui ont défilé pendant plusieurs semaines dans les rues des grandes villes.
Les divisions au sein de l'UE mettent à l'épreuve la cohésion du bloc. Certains membres, comme l'Italie, ont rétabli des contrôles aux frontières, entraînant "une érosion de l'espace sans frontières de Schengen", a commenté Luigi Scazzieri, chercheur au sein du Centre pour la réforme européenne, un autre think tank.
Un sentiment croissant de xénophobie contre les migrants et d'islamophobie pourrait remodeler les paysages politiques de nombreux pays et renforcer la popularité des partis d'extrême-droite radicale, comme l'Alternative pour l'Allemagne ou le Rassemblement national en France, a-t-il déclaré.
"Ces mêmes forces politiques se trouveraient renforcées si les combats provoquaient un afflux de réfugiés depuis Gaza ou d'autres pays de la région", a ajouté M. Scazzieri.
Les partis d'extrême-droite recueillent un soutien croissant dans des pays tels que l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne et les Pays-Bas, et le virage de l'Europe vers la droite devrait se poursuivre lors des élections du Parlement européen l'année prochaine.
LE SOUCI DU PUBLIC
Alors que les autorités européennes s'efforcent de surmonter les divisions et les désaccords, la population - dont une partie est encore traumatisée par le souvenir cauchemardesque des guerres du siècle dernier - est impatiente de voir ces atrocités prendre fin.
"Je ne suis ni antisémite ni anti-musulman. Je suis simplement anti-guerre et anti-violence", a par exemple déclaré Cécile J., une ophtalmologue luxembourgeoise d'une cinquantaine d'années.
Consternés par les massacres, de nombreux Européens sont en colère contre la position conciliante et les réactions passives de l'UE et de ses Etats membres.
"Le Conseil des ministres de l'UE apparaît comme un spectateur passif, et se contente de suivre le courant dominant de l'opinion, tandis que les gouvernements individuels ont peur d'exprimer leurs véritables vues par peur de représailles", a déclaré à Xinhua une retraitée de la Commission européenne, sous couvert d'anonymat.
Pour l'UE, qui abrite d'importantes populations juives et musulmanes, les enjeux de la crise sont majeurs, et il est à craindre que les répercussions du conflit ne nourrissent à la fois l'antisémitisme et l'islamophobie en Europe.
"Je suis inquiète du risque de polarisation : que des juifs et des musulmans, nés en France et citoyens français, puissent s'opposer au lieu de se donner la main. C'est un risque énorme (...) J'ai aussi peur que l'unité républicaine de la France en pâtisse", a commenté Mathilde Bloch, une citoyenne française d'origine juive.
En outre, 82% des Français pensent que le conflit aura des répercussions sur le risque terroriste en France, selon le baromètre Harris Interactive pour LCI publié fin octobre.
L'Europe fait face à un "risque très élevé d'attaques terroristes" pendant les vacances de Noël, a de fait prévenu début décembre la commissaire aux Affaires intérieures de l'UE, Ylva Johansson.
Le conflit met également en péril l'économie fragile de l'Europe, qui lutte toujours contre la récession, tandis que les préoccupations liées à l'inflation persistent et que l'UE fait toujours face aux conséquences de la crise énergétique de l'année dernière.
"J'ai peur que l'économie mondiale soit affectée, avec des hausses de prix du pétrole et du gaz qui feront peser une charge supplémentaire sur des populations déjà en difficulté", a indiqué l'ancienne fonctionnaire de la Commission.
Goldman Sachs a averti en novembre que la manière potentiellement la plus sérieuse pour les tensions de déborder sur l'économie européenne était leur impact sur les marchés du pétrole et du gaz. A moins que les pressions sur les prix de l'énergie ne soient contenues, le conflit entre Israël et le Hamas pourrait bien avoir un impact significatif sur la croissance économique et l'inflation dans la zone euro.
UNE SOLUTION EUROPEENNE ?
A la suite du sommet de l'UE du 15 décembre, le président du Conseil européen Charles Michel a déclaré que les dirigeants avaient consolidé leur position commune, et avaient discuté de leur vision d'un règlement pacifique et durable du conflit sur la base de la solution à deux Etats.
Bien que les Européens n'aient que peu d'influence sur le cours du conflit à Gaza, beaucoup pensent qu'ils peuvent néanmoins contribuer à prévenir certaines de ses pires conséquences.
Le 27 octobre, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a déclaré que le Conseil de l'UE avait accepté la proposition de son pays d'organiser une conférence internationale sur la paix entre Israël et la Palestine dans les six prochains mois.
Le chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, a pour sa part indiqué que le bloc devait travailler avec ses partenaires régionaux pour organiser une conférence de paix et de mise en œuvre de la solution à deux Etats. "Une part significative du rôle futur de l'Union dans le monde, et en particulier l'avenir de nos relations avec de nombreux pays du 'Sud global', dépendront de notre engagement pour aider à résoudre ce conflit", a-t-il écrit dans un article publié mi-novembre dans la revue du Grand Continent.
Plusieurs pays ont soutenu le plan de Chypre, qui consisterait à créer un couloir maritime pour acheminer de l'aide humanitaire à Gaza. Chypre, le pays de l'UE le plus proche de la zone de conflit, ne se trouve en effet qu'à 210 milles marins (389 km) de Gaza.
Selon Peter Kellner, chercheur auprès de Carnegie Europe, l'Europe d'aujourd'hui manque de grandes figures intellectuelles. "La renaissance de l'Europe d'après-guerre doit beaucoup aux grandes visions des grandes personnalités, comme George Marshall ou Jean Monnet. Où sont leurs équivalents aujourd'hui ?", a-t-il déclaré.