La dissolution brutale mercredi du gouvernement ivoirien en plein conseil des ministres pose le problème de l'union sacrée au sein du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) qui a porté au pouvoir Alassane Ouattara après l'élection de novembre 2010.
La décision du président Alassane Ouattara de mettre fin aux fonctions du Premier ministre Jeannot Ahoussou-Kouadio, issu du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), et des membres de son gouvernement après des dissensions sur le vote d'une loi sur la famille à l'Assemblée nationale, vues par le Rassemblement des républicains (RDR) comme un manque de "solidarité" de son principal allié, a pris tout le monde de court.
Une décision "disproportionnée" et "inconséquente"
Le secrétaire général du PDCI, Alphonse Djédjé Mady, député à l'Assemblée nationale, est le premier "surpris" par la tournure des événements.
"L'Assemblée nationale a joué naturellement le rôle qui est le sien", a-t-il déclaré expliquant que lorsque le parlement reçoit un texte, "il l'étudie et essaie d'apporter une amélioration en son âme et conscience".
"L'Assemblée nationale n'a-t-elle pas le droit d'analyser un texte et d'apporter des améliorations ?", s'est-il interrogé avant de souligner "le pouvoir discrétionnaire du président Ouattara de dissoudre le gouvernement".
Un analyste politique juge la décision "inconséquente" et " disproportionnée".
"C'est une décision inconséquente puisque, malgré la position des députés PDCI, la loi a été votée en commission ; et elle est disproportionnée parce que nulle part au monde, on a vu un président dissoudre un gouvernement parce qu'une loi a été discutée en commission parlementaire", estime-t-il.
C'est un "mauvais coup contre les principes démocratiques", estime pour sa part un journaliste indépendant.
Pour lui, les raisons officielles qui sous-tendent la dissolution du gouvernement donnent d'Alassane Ouattara "l'image d'un homme d'Etat qui veut brider le jeu démocratique en confinant l'Assemblée nationale à n'être qu'une caisse d'enregistrement".
"En faisant payer au gouvernement l'insoumission des députés, Ouattara piétine le principe de séparation des pouvoirs consacré par la Constitution", écrit-il.
Dans le fonds, selon un autre politologue, le clash sur le projet relatif à la famille révèle "le fossé idéologique" entre le PDCI et le RDR et la dissolution du gouvernement est un "message clair" d'Alassane Ouattara en direction de ses alliés pour leur dire que "c'est lui et à lui seul qu'il revient de déterminer et de conduire la politique nationale".
La fin de l'idylle PDCI-RDR ?
Pour de nombreux observateurs, si Alassane Ouattara tient à définir "le comportement qu'il faudra désormais avoir" au sein de l'alliance au pouvoir, il ne peut pas aller jusqu'à "rompre" avec le PDCI.
"Le risque serait trop grand pour le président ivoirien s'il se résolvait à ajouter le PDCI à la liste de ses adversaires", avancent-ils expliquant qu'il "risque de rapprocher le PDCI et les pro-Gbagbo" et d'"élargir la base des anti-Ouattara".
Il ajouterait ainsi de l'eau au moulin de nombreux militants du PDCI qui ont le sentiment d'être "des chevaux que montent sans ménagement les cavaliers du RDR".
Depuis la dissolution du gouvernement, les réunions se succèdent au PDCI, dans une "ambiance surchauffée" avec des militants mobilisés qui contiennent difficilement leur "révolte", rapporte un quotidien proche du parti.
Certains militants, dans les rues, n'hésitent pas à profiter de cette crise pour appeler le président du PDCI, Henri Konan Bédié, à quitter son statut de "faire-valoir" pour rejoindre l'opposition en laissant "le RDR seul gérer son pouvoir".
D'autant plus que, selon des sources proches du PDCI, Henri Konan Bédié, mis devant le fait accompli, a piqué une grosse colère après la dissolution du gouvernement.
Les mêmes sources indiquent que dans un échange téléphonique avec Alassane Ouattara dans le cadre des consultations pour la formation du nouveau gouvernement, M. Bédié a réitéré sa confiance à tous ses ministres du gouvernement démis.
"Le PDCI pourrait suspendre sa participation au gouvernement si un seul ministre est limogé sans l'accord de Bédié", menace-t-on dans les cercles de l'ex-parti unique fondé par le premier président ivoirien, feu Félix Houphouët-Boigny.
"La situation est, on ne peut plus, sérieuse", écrit le journal Le Nouveau Réveil (proche du parti) qui annonce que M. Bédié rentre de Daoukro (son village natal au centre du pays) pour des concertations avec les instances et les élus de son parti.
Il doit également rencontrer le Premier ministre, Jeannot Ahoussou-Kouadio, avant de s'entretenir avec le président Alassane Ouattara qui doit regagner Abidjan samedi après une visite de deux jours en Italie et au Vatican.
Selon des sources bien introduites, M. Bédié recevra dimanche en sa résidence le président Ouattara.
Peut-être, réussiront-ils à "laver le linge sale en famille".