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ZOOM AFRIQUE : La rencontre surprise Tshisekedi-Kagame peut-elle changer la donne dans la crise en RDC ?
Dans un revirement spectaculaire sur fond de tensions croissantes, les présidents de la République démocratique du Congo (RDC) et du Rwanda ont eu une réunion informelle mais surprise mardi à Doha au Qatar. Cette rencontre a été rendue publique quelques minutes seulement après la confirmation de l'annulation des négociations prévues à Luanda entre Kinshasa et le groupe rebelle du Mouvement du 23-Mars (M23).
Avec les cessez-le-feu passés non respectés et des efforts de médiation régionale toujours contestés, le retour à la paix reste incertain, même après cette surprise de Doha.
Photo d'archives prise le 27 février 2025 d'une patrouille des Forces armées du groupe rebelle M23 à Bukavu, dans la province du Sud-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). (Xinhua/Zanem Nety Zaidi)
UNE RENCONTRE SURPRISE
Le président congolais Félix Tshisekedi et son homologue rwandais Paul Kagame se sont rencontrés mardi à Doha, sous la médiation de l'émir du Qatar, Tamim ben Hamad al-Thani, pour la première fois depuis que le M23, un groupe rebelle accusé d'être soutenu par Kigali, a pris cette année la ville de Goma dans l'est de la RDC.
Lors d'une interview récente avant la rencontre, M. Kagame avait rappelé que le rendez-vous des deux présidents de la fois passée remontait à septembre 2022, alors que les rebelles du M23 avaient refait surface fin 2021.
Dans une déclaration tripartite, les dirigeants ont réaffirmé leur engagement à un cessez-le-feu "immédiat et inconditionnel", comme convenu par les blocs régionaux africains, la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC), lors d'un sommet en février à Dar es-Salam en Tanzanie.
Le texte a également souligné la nécessité de poursuivre les discussions entamées à Doha afin d'établir une base solide pour une paix durable.
L'émir du Qatar a déjà joué un rôle clé dans plusieurs médiations diplomatiques de haut niveau, notamment l'Accord de Doha de 2020 qui a conduit au retrait des troupes américaines d'Afghanistan.
Cependant, la RDC et le Rwanda, dont les relations sont fragiles, ont interprété différemment les résultats de cette rencontre. Kinshasa a qualifié l'accord de "première étape" vers une paix durable dans la région. Kigali, pour sa part, a souligné que la solution résidait dans "une négociation politique directe avec le M23", ce qui constitue une ligne rouge pour Kinshasa, tout en appelant à traiter la question des "forces génocidaires" des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).
La RDC accuse le Rwanda de soutenir les rebelles du M23, ce que Kigali dément. Le Rwanda accuse de son côté l'armée congolaise d'appuyer des éléments résiduels des FDLR, un groupe censé comprendre des responsables du génocide de 1994 contre les Tutsi.
En février, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté à l'unanimité la résolution 2773, appelant le Rwanda à cesser son soutien au M23 et à retirer ses troupes de la RDC sans conditions, tout en exhortant la RDC à mettre fin à son soutien à certains groupes armés, notamment les FDLR.
La RDC et le Rwanda ont signé en novembre 2024 un concept d'opérations pour la neutralisation des FDLR, a déclaré le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, dans une interview diffusée mercredi. Mais, a-t-il accusé, "le problème réside dans le manque de bonne foi et de volonté politique de Kinshasa pour le mettre en œuvre".
Un convoi militaire de véhicules du M23 s'approche du poste-frontière de la Grande Barrière entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC), avant la remise de 14 membres des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) le 1er mars 2025. (Xinhua/Cyril Ndegeya)
UN CAMOUFLET
Quelques minutes avant que la réunion tripartite de Doha ne soit rendue publique, l'Angola a confirmé l'annulation des négociations de paix entre la RDC et le M23 prévues, invoquant "un cas de force majeure".
"C'est d'abord un camouflet pour le président angolais Joao Lourenço", a analysé mardi soir Christophe Rigaud, journaliste et analyste français spécialiste de la RDC.
M. Lourenço, acteur clé du processus de Luanda, un mécanisme de paix soutenu par l'Union africaine (UA), était à l'initiative des négociations de mardi.
Le M23 avait annoncé lundi soir son retrait des pourparlers, les jugeant devenus "impossibles", en raison des sanctions annoncées le même jour par l'Union européenne contre certains dirigeants du M23 et des commandants militaires rwandais, dont le chef politique du M23, Bertrand Bisimwa.
L'Angola a initialement maintenu que les discussions se tiendraient "comme prévu" malgré le retrait du M23, mais a attendu mardi soir pour annoncer officiellement l'annulation des négociations, réaffirmant que le dialogue était la seule voie vers une paix durable.
Luanda a confirmé l'arrivée de la délégation congolaise, sans donner plus de détails sur d'éventuelles discussions bilatérales.
Le M23 avait auparavant exhorté M. Tshisekedi à faire une déclaration publique sans équivoque, s'engageant à des négociations directes. Or, le gouvernement congolais a pour ligne rouge toute négociation avec ces rebelles qui ont pris le contrôle de vastes territoires dans les provinces orientales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Cet échec des négociations de paix rappelle le sommet de Luanda en décembre dernier, également parrainé par M. Lourenço. Les présidents congolais et rwandais devaient y parvenir à un accord de paix, mais les discussions préliminaires avaient échoué.
Le Rwanda exigeait que la RDC engage des discussions directes avec les rebelles du M23 comme préalable à tout accord, une exigence rejetée par Kinshasa, qui désigne le M23 comme un groupe terroriste.
Photo prise le 5 février 2025 montrant le personnel médical transportant les corps de victimes du conflit à Goma, en République démocratique du Congo (RDC). (Xinhua/Zanem Nety Zaidi)
UNE PAIX INCERTAINE
Avec des cessez-le-feu passés non respectés et des médiations régionales contestées, la paix reste toujours fragile même après la rencontre de Doha.
Tout au long de 2024, plusieurs accords de cessez-le-feu ont été conclus entre la RDC et le Rwanda sous médiation régionale et internationale, mais aucun n'a été pleinement respecté.
En juillet 2024, l'armée congolaise a accusé le M23 de violer une trêve humanitaire et dénoncé son "attitude belliqueuse légendaire", ainsi que de maintenir les populations déplacées dans des conditions atroces en les privant d'aide humanitaire. La trêve suivante, en août 2024, sous la médiation de M. Lourenço, a également été rompue, sans que les auteurs de la violation du cessez-le-feu ne soient identifiés.
Début février, le M23 a déclaré un cessez-le-feu unilatéral. Le gouvernement de la RDC a exprimé son scepticisme à l'égard de ce cessez-le-feu, le qualifiant de tactique visant à regrouper et à renforcer les positions du groupe rebelle.
Lundi, la SADC et l'EAC ont tenu une réunion ministérielle à Harare, la capitale du Zimbabwe, pour trouver des moyens d'instaurer un cessez-le-feu permanent. Ses ministres sont convenus de prendre des mesures de confiance aux niveaux politique et militaire dans le cadre de la fusion des processus de Luanda et de Nairobi dans les mois à venir pour aboutir à un cessez-le-feu durable.
Lors d'un sommet conjoint EAC-SADC en février, plusieurs dirigeants africains avaient en effet décidé de fusionner ces deux initiatives de paix en un cadre unique dit "Processus Luanda/Nairobi".
Cependant, le gouvernement congolais et ses partenaires régionaux restent divisés sur l'orientation future des processus de paix de Nairobi et de Luanda. La RDC plaide pour un "alignement" formel afin d'élever les deux processus, considérés comme complémentaires, au même niveau organisationnel.
"Les deux processus impliquent des cibles et des parties prenantes différentes", a souligné début mars Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre des Affaires étrangères de la RDC, insistant pour que le processus de Nairobi soit également placé sous l'égide de l'UA.
Kinshasa, la SADC et l'EAC ont également des avis divergents sur la nomination de nouveaux facilitateurs pour le "Processus Luanda/Nairobi", chacun proposant des noms différents, selon un document issu de la réunion consultative des ministres des Affaires étrangères/Défense de l'EAC de samedi dernier, consulté par Xinhua.
La fusion des processus de Luanda et de Nairobi, ainsi que la nomination de nouveaux facilitateurs, devraient être finalisées d'ici la fin mars, a néanmoins assuré mercredi à la presse M. Nduhungirehe. "Nous espérons que cela ouvrira enfin la voie à un dialogue politique significatif", a-t-il dit.