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ZOOM AFRIQUE : Face aux hausses tarifaires américaines, l'Afrique s'organise pour sa résilience économique
Le président américain Donald Trump a signé jeudi dernier un décret modifiant à nouveau les taux de droits de douane avec près de 70 pays dans le monde, dont une vingtaine en Afrique. Les droits de douane pour des pays africains comme l'Angola, le Nigeria, le Lesotho et la Côte d'Ivoire ont ainsi été relevés à 15%, tandis que ceux pour des pays tels que la Libye et l'Afrique du Sud ont été portés jusqu'à 30%.
Des ouvrières rangent des vêtements dans une usine à Maseru, au Lesotho, le 30 juillet 2025. (Xinhua/Wang Guansen)
Plusieurs responsables et experts africains dénoncent l'imprévisibilité de la politique commerciale américaine, qui alimente l'incertitude pour le développement du continent et érode la confiance à l'égard des Etats-Unis, tout en appelant à une réponse stratégique et coordonnée des pays africains.
CERTAINS PAYS A L'EPREUVE DE LA PRESSION COMMERCIALE
En juillet, en plein hiver austral, des groupes d'ouvriers du textile errent dans la zone industrielle de Maseru, la capitale du Lesotho, à la recherche d'un nouvel emploi.
Pays enclavé en Afrique, le Lesotho figure parmi les pays les moins développés du monde, avec près de la moitié de sa population vivant sous le seuil de pauvreté et un taux de chômage avoisinant les 25%. Une hausse des droits de douane américains exerce, sans aucun doute, une pression considérable sur son économie déjà fragile.
"Cette mesure a porté un coup dur à l'industrie textile du Lesotho", a déclaré Mokhethi Shelile, son ministre du Commerce, de l'Industrie, du Développement des entreprises et du Tourisme lors d'une interview récente accordée à Xinhua.
Le secteur textile, pilier de l'économie locale, compte 11 usines de confection orientées principalement vers le marché américain, faisant du Lesotho le premier exportateur africain de vêtements vers les Etats-Unis. Cependant, depuis l'annonce de la hausse tarifaire, de nombreuses commandes ont été annulées, laissant probablement quelque 13.000 ouvriers au chômage.
Selon Teboho Kobeli, responsable d'Afri-Expo, l'une des plus grandes entreprises textiles du pays, même si les exportations vers les Etats-Unis ne représentaient que 10% de son volume total, la suspension brutale des commandes a provoqué un choc majeur. "Nous avons dû licencier près de 500 employés pour alléger la pression financière soudaine".
A Madagascar, c'est le secteur de la vanille qui est directement frappé. Représentant à lui seul un quart des recettes d'exportation du pays, ce secteur dépend en grande partie du marché américain, qui absorbe environ 70% des exportations de vanille malgache.
"Le prix actuel de la vanille est déjà bas", a constaté Noé Réné Solo, directeur de l'agriculture et de l'élevage pour la région d'Atsinanana, l'une des principales zones productrices de vanille. Selon lui, en cas de surtaxe, ce prix risquerait de chuter davantage, ce qui pourrait "démotiver les producteurs et entraîner l'abandon de l'entretien des plantations".
CAP SUR UNE AFRIQUE PLUS RESILIENTE
Face à ces incertitudes, plusieurs experts appellent à accélérer l'intégration économique de l'Afrique pour renforcer sa résilience.
En Tanzanie, la part des exportations de matériaux de construction et de produits agricoles vers des pays voisins comme le Rwanda, le Burundi et la République démocratique du Congo est en constante augmentation, constituant ainsi un amortisseur face à la dépendance aux marchés extérieurs du continent, a indiqué Humphrey Moshi, directeur du Centre d'études chinoises de l'Université de Dar es-Salam en Tanzanie.
Dans ce contexte, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), officiellement entrée en vigueur en 2021, apparaît comme un levier essentiel. En visant l'élimination des barrières tarifaires intra-africaines, ce mécanisme ambitionne de stimuler le commerce et l'investissement dans le continent, de créer des chaînes de valeur régionales et d'accroître la résilience économique de l'Afrique.
Selon Balew Demissie, chercheur à l'Institut éthiopien d'études politiques, renforcer le commerce régional à travers des accords comme la ZLECAf peut non seulement dynamiser les échanges entre les pays africains, mais aussi encourager la croissance industrielle et favoriser la diversification, agissant ainsi comme un filet de sécurité face aux perturbations du commerce mondial.
Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, appelle à un "changement de mentalité", incitant les décideurs africains à ne plus considérer l'intégration dans les chaînes de valeur mondiales comme une fin en soi.
"L'objectif devrait être de renforcer la création de valeur ajoutée sur le continent, d'investir dans les infrastructures régionales et d'élargir les économies d'échelle afin de consolider la position de négociation de l'Afrique sur la scène mondiale", a-t-il ajouté.
Des employés transportent des grains de café dans un entrepôt de la Mullege Public Limited Company, une entreprise familiale éthiopienne spécialisée dans la transformation et l'exportation du café, à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 1er juillet 2023. (Xinhua/Michael Tewelde)
DIVERSIFIER LES MARCHES D'EXPORTATION
Première productrice de café en Afrique et cinquième exportatrice mondiale d'arabica, l'Ethiopie déploie actuellement des efforts pour diversifier les destinations d'exportation et réduire la dépendance vis-à-vis du marché américain face à un droit de douane de 10% sur son café.
L'Ethiopie "n'acceptera aucune décision susceptible de nuire à son secteur caféier", a affirmé Shafi Umer, directeur général adjoint de l'Autorité éthiopienne du café et du thé (ECTA). Selon lui, la décision américaine pourrait réduire les recettes d'exportation du café d'environ 35% du pays.
L'autorité envisage ainsi de renforcer ses liens commerciaux avec ses marchés traditionnels comme la Chine, le Japon, l'Allemagne et l'Italie, tout en explorant de nouveaux débouchés au Moyen-Orient. L'objectif pour l'année fiscale en cours est d'étendre les exportations de café à 20 pays.
D'autres pays, comme l'Afrique du Sud, accélèrent aussi leur stratégie de diversification vers l'Asie, l'Europe, le Moyen-Orient et l'Amérique du Sud.
En outre, le partenariat économique sino-africain est devenu de plus en plus crédible pour l'économie de l'Afrique. La récente décision de la Chine d'appliquer un traitement au tarif douanier zéro sur 100% des lignes tarifaires en faveur des 53 pays africains avec lesquels elle entretient des relations diplomatiques a été saluée par de nombreux opérateurs économiques comme une mesure de soutien concrète.
Pour Emmanuel Yinkfu, un commerçant à Douala, au Cameroun, cette annonce est un signal fort. "Cela marque une évolution vers un partenariat plus cohérent, inclusif et stratégique entre la Chine et l'Afrique", se réjouit-il.
Joseph Tegbe, directeur général du Partenariat stratégique Nigeria-Chine, estime quant à lui que cette initiative permettra au Nigeria de mieux tirer parti du grand marché de consommation chinois, en particulier dans les secteurs de l'agriculture, de l'industrie manufacturière et du commerce numérique.
C'est une opportunité que les pays africains devraient saisir pour élargir leur accès aux marchés étrangers, estime Leslie Dwight Mensah, économiste ghanéen à l'Institut d'études fiscales, qui voit en cette initiative chinoise une alternative face aux pertes potentielles dans la guerre tarifaire engagée par les Etats-Unis.