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Pourquoi cette place française porte-t-elle le nom d'un écrivain chinois

le Quotidien du Peuple en ligne 09.06.2025 13h22

Montpellier et Chengdu furent les premières villes jumelées entre la France et la Chine. En mai 2025, un nouveau chapitre s'ouvrit entre ces deux villes séparées par des milliers de kilomètres.

Michael Delafosse, maire de Montpellier, et son équipe municipale ont officiellement baptisé une nouvelle place du quartier Antigone de Montpellier « Place Li Jieren » lors du 40e Festival du Livre de Comédie.

L'emplacement de cette place n'a pas été choisi au hasard. Ce lieu symbolique se trouve à proximité de la médiathèque dédiée au romancier naturaliste français Émile Zola. Li Jieren, originaire de Chengdu, a été salué comme le « Zola chinois » et le « Flaubert de l'Orient ».

Li Jieren partit étudier en France en 1919 et fréquenta l'Université de Montpellier de 1922 à 1924. Plus de 60 ans après sa disparition, il revint en France de cette manière particulière. La place française qui porte le nom de Li Jieren est non seulement un lieu de partage et de rencontres, mais aussi un témoignage des échanges culturels et de l'amitié entre la France et la Chine.

Mon lien personnel avec la Chine a débuté en 2001. Un stage de fin d'études en architecture m'a conduit à Shenzhen, où j'ai rencontré celle qui est aujourd'hui mon épouse, Li Shuwen, arrière-petite-fille de Li Jieren.

C'était la première fois que je venais en Chine. Ayant grandi à Paris, j'ai été profondément impressionné par le dynamisme de Shenzhen. La tolérance, l'ouverture et l'abondance des opportunités de la ville ont éveillé ma curiosité pour la Chine.

Li Shuwen et moi avons vécu cinq ans à Paris. Plus tard, j'ai décidé de la suivre et de m'installer à Beijing. À Beijing, qu'il s'agisse du patrimoine architectural, du son occasionnel de l'opéra de Pékin dans les parcs ou même des conversations dans les ruelles des hutongs, la culture chinoise est représentée avec force par ses habitants. Pour moi, c'est bien plus impressionnant que les monuments célèbres.

Pour être honnête, avant de venir en Chine, je n'avais jamais entendu parler de Li Jieren. Lorsque j'ai appris que l'arrière-grand-père de Li Shuwen avait des liens avec la France, ma curiosité a été éveillée, surtout lorsque j'ai découvert que Li Jieren jouissait d'une grande réputation dans le monde littéraire chinois et français.

Les œuvres de Li Jieren, « Ondulations sur les eaux stagnantes », « Le calme avant la tempête » et « Les grandes vagues », forment la « trilogie du grand fleuve », que Mao Dun a qualifiée de monumentale dans l'histoire de la littérature chinoise moderne. Le premier roman de Li Jieren que j'ai lu était « Ondulations sur les eaux stagnantes ».

J'ai commencé par la version anglaise de « Ondulations sur les eaux stagnantes », puis j'ai lu la première édition française de « Eaux mortes », traduite par Mme Wen Jinyi. La version anglaise était plus facile à digérer, tandis que la version française était plus difficile.

Bien que la version française ne soit pas parfaite, je pense qu'il s'agit d'une œuvre importante. Elle fait découvrir la littérature chinoise et les réalités sociales de la Chine aux lecteurs français, à l'instar de Li Jieren qui traduisit des classiques de la littérature française et introduisit la culture française en Chine. C'est peut-être là le sens profond d'une première traduction : découvrir et explorer de nouvelles cultures.

Li Jieren a traduit de nombreuses œuvres d'écrivains français tels qu'Alphonse Daudet et Guy de Maupassant. Ces œuvres offrent des descriptions détaillées de la vie réelle, réfléchissant et critiquant les personnes issues de différentes classes sociales et la société. Ces auteurs sont considérés comme appartenant aux mouvements réaliste et naturaliste, et sont encore couramment étudiés dans les écoles françaises aujourd'hui.

Je pense que ce n'est pas un hasard si Li Jieren a choisi de traduire ces œuvres littéraires françaises. Ces œuvres ont profondément marqué son esprit, et c'est cette résonance qui l'a motivé à les traduire et à les rapporter en Chine. Ces œuvres sont devenues un pont de communication entre la Chine et le monde.

Les romans que Li Jieren a écrits plus tard dans sa carrière se sont effectivement concentrés sur les classes populaires, offrant une réflexion critique sur les réalités du système social.

Mais Li Jieren était plus qu'un écrivain ou un traducteur. C'était aussi un entrepreneur et, surtout, un militant social. Comme beaucoup d'autres jeunes qui étudiaient en France à cette époque, comme Deng Xiaoping et Hô Chi Minh, Li Jieren est retourné dans son pays et a apporté une contribution majeure dans divers domaines.

Lorsque j'ai rencontré Li Shuwen pour la première fois, elle envisageait d'étudier à l'étranger. Initialement, elle n'avait aucune intention d'aller en France, mais elle a finalement choisi d'y aller. Peut-être, d'une certaine manière, retraçait-elle les traces de son arrière-grand-père.

Je pense que ce n'est pas un hasard si les descendants de Li Jieren se sont retrouvés en France. Un examen plus approfondi de la famille de Li Shuwen révèle de nombreuses traces d'échanges sino-français. Sa grand-mère était interprète et chercheuse française, tandis que son grand-père étudiait la culture d'Afrique du Nord-Ouest dans les régions francophones. Sa famille boit du café, apprécie les petits-déjeuners occidentaux et possède même un couteau à beurre à la maison.

Il est important de noter que Li Jieren était également un gastronome. Chez lui, à Chengdu, il préparait ses repas avec les légumes de son propre jardin. Heureusement, Li Jieren a transmis ce talent à son descendant, Li Shuwen.

J'adore les nouilles saozi (nouilles à la viande hachée) que prépare Li Shuwen. C'est un plat chinois très simple et réconfortant. Lorsque nous mangeons des nouilles saozi, ma femme rappelle toujours à chacun de n'en prendre qu'une petite portion à la fois, et de la finir avant d'en reprendre. Elle explique sans cesse que cette façon de les manger et de les servir sont héritées de la famille de Li Jieren et diffère des pratiques courantes ailleurs.

Lorsque j'ai appris que la place Li Jieren avait été nommée à Montpellier, j'ai ressenti à la fois de la fierté et de l'espoir. C'est une reconnaissance pour un grand écrivain chinois qui aimait la langue française et partageait les mêmes idées sociales que les auteurs français qu'il traduisait.

Dans un monde de plus en plus divisé, cette place de Montpellier représente une attitude et une position ouverte.

(Web editor: Ying Xie, Yishuang Liu)

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