La tragédie de Newton, où ont péri 26 personnes, dont vingt jeunes enfants à peine âgés de six ans ainsi que des enseignants courageux qui se sont vainement sacrifiés pour les protéger, a glacé d'effroi le monde entier. Voir les noms et les photos de ces petits anges innocents et de leurs professeurs a de quoi vous déchirer le cœur, et nombre d'entre nous se sont à cet instant sentis profondément attristés et solidaires du peuple américain et de ces familles plongées dans le deuil le plus cruel qui soit.
Oui, il y a en effet de quoi pleurer. Comme le Président Obama l'a fait. Il était visiblement très ému quand il est apparu devant les caméras de télévision, et il faut bien reconnaître qu'on le serait à moins ; au-delà d'être président du pays le plus puissant du monde, c'est aussi un homme et un père.
Mais personnellement, ces larmes, par ailleurs compréhensibles et justifiées, m'ont rendu furieux, et je ne dois pas être le seul. S'il y a de quoi pleurer, c'est aussi de rage. Pourquoi ? Je m'explique : Barack Obama, après avoir séché ses larmes et s'être rendu sur place, a reconnu que depuis qu'il est président, c'est la quatrième fois qu'il se rend sur les lieux d'un massacre de ce genre. Oui, vous avez bien lu… la quatrième fois ! Et c'est maintenant, après s'être ému, maintenant seulement, qu'il dit que cela ne peut plus durer. « Nous ne pouvons plus le tolérer. Ces tragédies doivent prendre fin. Et pour y mettre fin, nous devons changer » a dit le Président américain.
A la bonne heure ! Mais que ne vous l'avez dit avant, Monsieur Obama ! Et surtout pourquoi n'avez-vous jamais rien tenté lors de vos quatre années précédentes ! Il est vrai que lors de son premier mandat, celui qui a reçu –ironie suprême aujourd'hui- le Prix Nobel de la Paix avant même d'avoir fait quoique ce soit pour cette cause que nous chérissons tous, songeait sans doute à sa réélection… et dans un pays où le culte des armes n'est pas un vain mot, dans un pays où, entre autres, le cinéma, autrefois si brillant, si bien joué –qu'on songe aux films de Capra, d'Hawks ou autres grands maîtres- n'est plus aujourd'hui, le plus souvent, que violence insupportable mais si largement diffusée qu'elle imprègne et influence aussi sans doute bien des cerveaux dérangés, dans un pays où la NRA (National Rifle Association, la très puissante association de promotion des armes à feu) est quasiment un Etat dans l'Etat, vouloir mettre de l'ordre est politiquement suicidaire. On a beau être légitimement ému par ces massacres successifs, on n'en est pas moins homme politique, qui plus est intelligent, et on tient sans doute à ses prébendes…
Alors oui, des larmes. Mais au-delà de l'émotion, de la colère, peut-être, ces larmes ne sont-elles pas aussi un aveu d'impuissance de Barack Obama face au si puissant lobby des armes, ou des larmes de culpabilité pour ne rien avoir fait lors de son premier mandat, qui pourtant avait déjà connu plus d'un massacre de ce genre ? Eût-il ne serait-ce que tenté quelque chose pour s'opposer à ces fous de la gâchette, il est probable qu'il n'aurait pas été réélu. Car ce culte des armes est enraciné dans la culture américaine, et même inscrit dans la constitution. Et on constate même qu'après chaque massacre, les ventes d'armes, loin de baisser, augmentent, symbole d'une société où quelque chose ne va pas. Mais au moins, quand bien même il aurait finalement échoué, aujourd'hui, pourrait-il dire « j'ai fait ce que j'ai pu » et se regarder dans une glace sans rougir de honte. Et j'ai bien peur que les belles paroles qu'il vient de prononcer ne restent que des paroles de politicien, qu'elles s'envolent comme la plume au vent, et qu'on nous les resservira encore dans l'avenir. Car ne nous leurrons pas, aujourd'hui où nous pleurons les innocentes victimes de Newton : le problème n'est pas de savoir s'il y aura encore d'autres tragédies de ce genre, mais où et quand. Barack Obama aura beau pleurer à la télévision et prononcer de belles paroles, je doute fort qu'il ne changera pas la situation.