Dernière mise à jour à 09h27 le 08/11
La banque centrale américaine a augmenté son taux de référence de 0,75 point de pourcentage la semaine dernière, la quatrième augmentation de cette ampleur et la sixième hausse cette année, portant son taux directeur dans une fourchette de 3,75% à 4%, la plus élevée depuis 15 ans.
La Réserve fédérale a déclaré que ces hausses étaient nécessaires pour atténuer une inflation record. Cependant, avant que les politiques monétaires agressives précédentes ne donnent des résultats aux Etats-Unis, elles ont déjà fait des ravages au niveau mondial, étant donné la domination du dollar dans le système monétaire et commercial international.
A la suite des hausses des taux d'intérêt américains, de nombreux pays ont subi une dévaluation de leur monnaie, des sorties de capitaux, une augmentation du coût du service de la dette et une intensification de l'inflation importée. Certains sont même tombés dans une crise monétaire ou de la dette.
Une fois de plus, les mots de l'ancien secrétaire au Trésor américain John Connally en 1971 sonnent juste : "Le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème."
Après avoir surmonté les vagues d'instabilité et l'incertitude des ajustements égoïstes de la politique monétaire américaine au cours des dernières décennies, de plus en plus de pays se rendent compte de la réalité dévastatrice de l'hégémonie du dollar.
LA DOMINATION DU DOLLAR
L'expression "privilège exorbitant" a été inventée dans les années 1960 par Valéry Giscard d'Estaing, alors ministre français des Finances et des Affaires économiques, pour déplorer les pratiques des Etats-Unis consistant à utiliser la domination du dollar dans leur propre intérêt.
Le système monétaire international caractérisé par la domination du dollar a été établi après les accords de Bretton Woods de 1944. Depuis lors, Washington a lancé des guerres et infligé des sanctions à tout opposant pour imposer la domination du dollar.
Dans les années 1980, lorsque le Japon, en pleine croissance, a cherché à obtenir un statut international plus élevé pour le yen, les Etats-Unis ont imposé l'accord du Plaza. Le yen s'est alors apprécié de façon spectaculaire par rapport au dollar, ouvrant la voie à la "décennie perdue" du Japon, caractérisée par une croissance lente et une déflation.
En janvier 1999, lorsque l'euro a été officiellement émis, sa valeur était de 1 euro pour 1,8 dollar. Deux mois plus tard, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) dirigée par les Etats-Unis a mené des frappes aériennes contre ce qui était alors la République fédérale de Yougoslavie sans l'aval des Nations Unies, déclenchant ainsi la guerre du Kosovo. Le chaos qui s'en est suivi a déclenché une fuite des capitaux de l'Europe et entraîné une dépréciation rapide de l'euro.
Ellen Brown, du Public Banking Institute, a écrit dans un éditorial que l'armée américaine avait attaqué l'Irak et la Libye parce que ces pays avaient décidé de réduire l'utilisation du dollar dans le règlement du commerce du pétrole, voire d'abandonner totalement la monnaie, ce qui était considéré comme un défi au système des pétrodollars.
L'histoire s'est répétée avec des résultats dévastateurs pour quiconque conteste la domination du dollar. Il semble y avoir une règle non écrite selon laquelle les Etats-Unis ne laisseront passer aucune menace à leur "privilège exorbitant".
EXPLOITER LES AUTRES
Avec un système centré sur le dollar établi après la Seconde Guerre mondiale, Washington a profité de la domination du dollar pour exporter les crises financières domestiques, récolter les richesses mondiales et détruire la stabilité financière ou le bien-être d'autres pays. Le seigneuriage, les trésors publics et la manipulation des politiques monétaires sont des tours que les Etats-Unis emploient pour faire des profits.
Prenons l'exemple du seigneuriage. Le coût pour fabriquer un billet de 100 dollars est inférieur à 20 centimes, mais les autres pays doivent payer 100 dollars de produits ou de services pour ce billet de papier. Selon les données de McKinsey, environ la moitié de la monnaie américaine circule en dehors du pays, ce qui représente une énorme source de revenus annuels pour la Réserve fédérale.
Un autre privilège permet aux Etats-Unis d'enregistrer un déficit extérieur, c'est-à-dire d'importer plus qu'ils n'exportent et de consommer plus qu'ils ne produisent, année après année, sans s'endetter davantage auprès du reste du monde.
Le 3 octobre, la dette nationale américaine a dépassé pour la première fois les 31.000 milliards de dollars dans un contexte de hausse des taux d'intérêt, portant le ratio de la dette fédérale américaine à environ 126% du PIB. Bien que les experts n'aient cessé d'avertir qu'une dette aussi élevée était une bombe à retardement risquant de provoquer une crise budgétaire et qu'un défaut de paiement des Etats-Unis entraînerait très probablement un effondrement financier mondial, cela n'a pas semblé déranger les gouvernements américains successifs.
Le dollar étant la première monnaie de réserve au monde, les Etats-Unis peuvent profiter de l'inversion soudaine de la stratégie monétaire de la Réserve fédérale, qui est passée d'une politique d'"assouplissement quantitatif" (QE) de plusieurs années à une politique plus restrictive.
Alors que la politique d'assouplissement quantitatif augmente l'offre en dollars dans le monde, la baisse des taux d'intérêt qui s'ensuit encourage en fait les activités spéculatives sur le marché boursier susceptibles de provoquer des bulles d'actifs, ce qui ajoute de la valeur aux actifs américains. Lorsque la politique de la Réserve fédérale se durcit, les actifs américains ayant pris de la valeur retournent aux Etats-Unis, laissant les autres pays avec des monnaies dépréciées et de mauvais actifs.
"Le fait que de nombreux Etats acceptent, par principe, des dollars au même titre que de l'or pour compenser, le cas échéant, les déficits que présente, à leur profit, la balance américaine des paiement, amène les Etats-Unis à s'endetter gratuitement vis-à-vis de l'étranger. En effet, ce qu'ils lui doivent, ils le lui paient, tout au moins en partie, avec des dollars qu'il ne tient qu'à eux d'émettre", avait déclaré le général Charles de Gaulle, ancien président français, à des journalistes en 1965.
L'ARME MONETAIRE
Avec le dollar américain comme arme, les Etats-Unis basculent entre l'inflation et le resserrement monétaires pour créer des "turbulences contrôlables" dans les secteurs financier et économique, ce qui se traduit par des opportunités commerciales pour l'industrie américaine.
De la crise de la dette des années 1980 en Amérique latine à la crise financière de 1997 en Asie et à la crise financière internationale de 2008, le dollar était en jeu. Pourtant, à chaque fois, les Etats-Unis s'en sont sortis indemnes ou ont même réussi à faire des bénéfices.
Les Etats-Unis ont imprimé près de la moitié de la quantité de monnaies imprimées au cours des 200 dernières années en un an et demi seulement, permettant à l'inflation d'augmenter et aux bulles économiques de déborder. Et les six hausses agressives des taux d'intérêt annoncées par la Réserve fédérale cette année ont porté un autre coup aux marchés financiers internationaux et ont entravé une faible reprise économique mondiale.
En octobre, le ministère japonais des Finances a dû dépenser un montant record de 42,8 milliards de dollars en intervention monétaire pour soutenir le yen après sa chute sous le seuil psychologiquement important de 150 par rapport au dollar américain, un niveau record depuis 1990.
Ces hausses pourraient accroître la pression sur les sorties de capitaux dans les marchés émergents, faire grimper l'inflation importée, accroître les vulnérabilités de la dette et réduire la marge de manœuvre politique, a déclaré à Xinhua Malhar Nabar, chef de division au Département de la recherche du Fonds monétaire international (FMI).
En juillet, le FMI estimait que près de 30% des pays émergents et 60% des pays à faible revenu étaient déjà endettés ou s'en approchaient.
UN PRIVILEGE EN RECUL
Sous des décennies d'hégémonie financière américaine caractérisée par la domination du dollar, la frustration grandit dans le monde entier.
Le mois dernier, l'Arabie saoudite, pays phare exportateur de pétrole et pilier du système du pétrodollar, a annoncé une baisse de sa production pétrolière, provoquant la fureur de Washington, qui avait demandé au producteur de pétrole de faire autrement.
Le président américain Joe Biden a déclaré qu'il réexaminerait les relations entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite et qu'il y aurait des "conséquences" non précisées pour le royaume.
Andreï Kostine, patron de la banque russe VTB, a déclaré que la "militarisation" des instruments financiers par Washington avait inévitablement sapé la confiance dans le dollar en tant que principale monnaie de réserve et moyen de paiement, suscitant un argument de poids en faveur d'une plus large utilisation des autres devises.
Le problème avec le système financier international actuel est un dollar dominant qui "ne soutient aucune autre monnaie, même l'euro ou le yen", a indiqué à Xinhua Mohammed Saqib, secrétaire général du Conseil économique et culturel Inde-Chine.
Selon lui, davantage de pays tenteraient de négocier en dehors du dollar.
Selon les données du FMI, la part du dollar dans les réserves de change mondiales est tombée en dessous de 59% au dernier trimestre de l'année dernière, prolongeant une baisse de deux décennies.
Dans un article de blog daté de juin évaluant la composition des réserves de change officielles, le FMI a estimé que "les banques centrales ne détenaient plus le billet vert dans leurs réserves comme elles le faisaient auparavant".
Lasse d'un système d'intimidation centré sur le dollar, la Russie a développé son système de transfert financier et a commencé à négocier en rouble. La banque centrale indienne a introduit des paiements en roupies avec des partenaires commerciaux. La Banque d'Israël a ajouté les devises du Canada, de l'Australie, du Japon et de la Chine à ses réserves de change, diluant le rapport entre le dollar et l'euro.
La domination du dollar depuis des décennies a placé les Etats-Unis dans une position de force pour dicter les termes de l'échange et de la finance au cours des 70 dernières années. Pourtant, sa domination diminue progressivement, a déclaré l'économiste Michael Roberts basé à Londres.