En dépit d'un consensus politique entre les trois premiers partis des élections du 23 octobre 2011, l'année 2012 s'écoule sur un différend "aigu" au sommet du pouvoir et aggravé par le retard dans la finalisation d'une nouvelle Constitution et dans la préparation des prochaines élections présidentielles et législatives en plus d'un tissu socioéconomique agité.
Quelques mois après les élections de la Constituante, le Mouvement islamiste Ennahdha (Renaissance) a noué une alliance avec le Congrès pour la République et le Forum démocratique pour le Travail et les Libertés, formant ainsi une "troïka" pour gouverner le pays. Mais ce parti majoritaire n'a pas bien fait ses calculs puisque les deux autres partis de la coalition avaient un électorat volatile et variable. En plus, ces deux partis avaient des "lignes idéologiques différentes" voire même "contradictoires" à celles du parti islamiste Ennahdha.
Ennuis du Mouvement Ennahdha
Le Mouvement Ennahdha a décidé de faire cavalier seul en s'appuyant sur la présence populaire des salafistes (mouvance radicale de l'islamisme) afin d'investir la rue, faire de la pression et intimider les concurrents. Ce premier rivage a coûté à Ennahdha son isolement politique à l'intérieur comme à l'extérieur du pays à la lumière de certains incidents déclenchés par des salafistes, tel que l'attaque contre l'ambassade américaine à Tunis.
Citons l'ex-Premier ministre tunisien Béji Caïd Essebsi, "la connivence d'Ennahdha avec les salafiste est flagrante, elle a mené le pays au chaos. Les salafistes se permettent d'agresser les membres de la Constituante, saboter des réunions de partis, s'attaquer aux intérêts étrangers (...) Cette violence a fait perdre la crédibilité de la Tunisie".
Face à ce constat, le Mouvement Ennahdha rappelle ses propres membres salafistes à l'ordre pour récupérer sa crédibilité et sauver son image modérée en relançant le débat avec les partenaires politiques de la scène notamment à travers la reconstruction des alliances avec des forces habilitées à s'engager dans un compromis national sur l'avenir politique de la Tunisie. La plus importante alliance a été explicitée envers des courants de la droite modérée dont le Parti Républicain (alliance d'une dizaine de partis) sans pour autant aboutir à des résultats concrets faute de concordance de visions.
Perturbations au sommet du pouvoir
Analyste politique tunisien, Slaheddine Jourchi a estimé que l'extradition de l'ancien Premier ministre libyen Bagdadi Mahmoudi, le 2è congrès national du Congrès pour la République (parti du chef de l'Etat) ainsi que les derniers événements dans le district de Siliana (nord-ouest) étaient décisifs dans l'explication de la perturbation au sommet du pouvoir en Tunisie.
"La décision, par le Chef du gouvernement tunisien Hamadi Jebali, de livrer Bagdadi Mahmoudi aux autorités libyennes a semé une certaine tension entre M. Jebali et le président Moncef Marzouki. Ce dernier a jugé cette décision d' illégitime et de faute politique et morale", a expliqué M. Jourchi rappelant que cette décision a risqué de coûter la démission du président Marzouki.
D'un autre côté, le chef d'Etat tunisien a critiqué lors du 2è congrès national de son parti les pratiques du Mouvement Ennahdha "semblables à celles du Rassemblement constitutionnel démocratique (ancien parti au pouvoir sous le régime de Ben Ali)". M. Marzouki a même accusé, dans une déclaration à la presse étrangère, le Mouvement Ennahdha de "main mise sur les articulations de l'Etat".
La divergence de vue entre les deux présidences (gouvernement et République) s'est relativement aggravée suite aux incidents survenus à Siliana où des affrontements entre manifestants et policiers avaient fait plus de 250 blessés.
Suite à ces perturbations sécuritaires, le président Marzouki s'est adressé aux Tunisiens avec un discours à la fois réconciliateur et porteur de messages implicites dans la mesure où le chef d'Etat a réussi à apaiser les tensions d'un côté tout en proposant de l'autre côté un gouvernement restreint formé de compétences: une proposition pas plaisante au Mouvement Ennahdha qui a menacé de remplacer le président de la République.
Incertitude sur la nouvelle Constitution
La Constituante a été élue le 23 octobre 2011 pour un mandat fixé initialement à une année pour s'étendre par la suite probablement à deux années voire plus. Tout au long de cette année, le rythme des travaux de cette Assemblée a été affecté par un retard jugé parfois flagrant imputé notamment à l'impérative de superviser le gouvernement, approuver des projets de loi comme la loi des finances et le budget d'Etat outre la préparation des nouvelles échéances électorales et déterminer une feuille de route pour la prochaine étape.
Ainsi, la rédaction d'une nouvelle Constitution tunisienne, initialement prévue dans un délai de 6 mois, a trainé et traine encore de nature à semer des incertitudes et des craintes auprès des partenaires économiques et politiques étrangers de la Tunisie. Ces derniers ne cessent de prendre du recul avant toute possibilité de partenariat ou de coopération avec un pays qui opère sans Constitution.
Les Tunisiens ont dû attendre la deuxième semaine du mois d'août 2012 pour voir le premier avant-projet de Constitution et le 14 décembre 2012 pour le deuxième avant-projet de cette loi suprême. La Constituante a annoncé que le débat sur le projet final de la Constitution débutera le 23 décembre 2012 sur tout le territoire tunisien pour prendre fin le 13 janvier 2013.
En fin de compte, cette révolution qui a surpris le monde y compris les Tunisiens mêmes est entrée dans une phase décisive de la transition dont la réussite dépend en premier lieu de la volonté des citoyens et de leurs propres moyens, mais qui reste également tributaire d'une sérieuse volonté politique de mettre le pays sur les rails du développement à travers la conception d'une feuille de route à moyen et à long terme sur les plans politique, économique et social.