Dans une interview exclusive accordée à l'agence de presse Xinhua, le sinologue français Pierre Picquart a livré ses impressions sur les défis politiques et économiques auxquels devra faire face la nouvelle équipe dirigeante chinoise dans les années à venir.
M. Picquart a dans un premier temps fait part de son sentiment quant aux nouveaux dirigeants de Pékin issus du XVIIIe congrès du Parti communiste chinois tenu en novembre 2012.
"C'est vraiment une nouvelle équipe qui se met en place et que je considère comme étant à la fois stable, donc consensuelle, mais également réformiste et je pense également qu'ils ont une vision moderne (..) J'ai vu des hommes qui parlent bien l'anglais, parfaitement bilingues, j'ai vu une équipe moderne", a estimé cet expert.
Interrogé sur les défis que la Chine doit encore relever, M. Picquart a expliqué que l'"on est passé d'une société égalitaire mais pauvre, à une société beaucoup plus riche mais très inégalitaire" et que les domaines dans lesquels le gouvernement doit agir "sont nombreux".
"Il faut d'abord que le revenu des Chinois augmente. Il faut réduire les inégalités entre les provinces les plus riches et les plus pauvres. Il faut (..) programmer une politique d'éducation, de santé, de retraite. Il faut s'occuper également de l'urbanisation et des banlieues", a-t-il déclaré.
"Il faut continuer à lutter contre l'émission des gaz à effet de serre et de préserver l'environnement avec également d'autres domaines comme les conditions de travail", a-t-il ajouté, notant qu'il faut "plus de transparence dans les décisions".
Autrement dit, il faut "appliquer tout simplement ce qui est déjà écrit dans la constitution chinoise", a-t-il résumé, estimant que "le travail est énorme" mais que "les dirigeants sont tout à fait à la hauteur".
M. Picquart a par ailleurs relevé deux axes essentiels pour la poursuite du développement de la Chine : "le développement en qualité des infrastructures dans tout le pays, la conquête de l' Ouest, des zones les plus pauvres, l'amélioration de l' urbanisation et en même temps s'ouvrir encore davantage à l' extérieur". Avec ça, "le pari sera réussi", a-t-il dit.
Interrogé sur le problème de la corruption, contre lequel le gouvernement chinois est déterminé à lutter, M. Picquart a reconnu que "c'est un problème en Chine". Il faut "une réglementation très stricte au niveau du droit et de l'exécution du droit qui ne passe par aucune corruption, c'est-à-dire une transparence complète dans l'administration chinoise", a-t-il proposé.
Pour ce qui est de la coopération sino-française, M. Picquart a constaté que "les Chinois investissent de plus en plus en France" et que "les Français investissent de plus en plus en Chine".
Il a par ailleurs qualifié de "capitale" la coopération entre la France et la Chine "car il y a de nombreux conflits dans le monde actuellement", que ce soit le conflit israélo-palestinien et d'autres dossiers comme la Syrie ou l'Iran. "Par rapport à tous ces dossiers brûlants, nous devons aller vers une diplomatie pour essayer de favoriser la paix dans le monde et le respect des peuples", a-t-il jugé.
En ce qui concerne le litige des îles Diaoyu, qui oppose la Chine et le Japon, "mon impression est que les dirigeants japonais et les dirigeants chinois souhaitent régler cette question d'une façon diplomatique (..) Je pense que ça va prendre quelques mois, mais cela va se régler", a pronostiqué M. Picquart.
"Le premier objectif, c'est d'avoir un Etat qui puisse se défendre (..) Le deuxième objectif devrait être d'éviter des coalitions anti-chinoises (..) Et puis, le troisième objectif doit être également au niveau militaire et économique, c'est-à-dire stratégique, protéger les routes qui approvisionnent en énergie, en matières premières et en ressources", a-t-il expliqué.
"Ce sont des objectifs qui sont importants et qui ne sont pas du tout contraires à un développement pacifique et qui ne sont pas non plus opposés à un partenariat gagnant-gagnant avec des intérêts légitimes des deux côtés", a-t-il poursuivi.
Enfin, M. Picquart a salué la politique économique menée par la Chine dans le contexte de la crise économique mondiale, notamment la stimulation du marché intérieur chinois.
"On doit saluer le plan de relance de 2008 (..), qui a permis à la Chine à la fois d'essayer d'avoir une politique de qualité à l' exportation puisque les exportations avaient diminué pendant un certain temps, et puis d'autre part de repartir à la conquête de son territoire, et notamment de développer la consommation intérieure", a-t-il analysé, notant que cela a permis de maintenir la croissance du pays à 7,8 % du Produit intérieur brut.
"De la difficulté, la Chine en a tiré un avantage en modernisant le pays, en encourageant le développement du pays et en se modernisant dans de nombreux domaines comme les nouvelles technologies", a-t-il ajouté.
"Parler d'économie, c'est aussi parler de monnaie, c'est aussi parler du yuan, et le yuan est une monnaie qui monte de plus en plus fort, face à un dollar qui est de plus en plus faible", a expliqué M. Picquart, se prononçant en faveur d'une " internationalisation du yuan".
"La Chine est devenue une très grande puissance économique mondiale et elle va permettre de rééquilibrer un monde, qui était auparavant, tout du moins ces dernières années, unipolaire et dominé par la politique américaine", a-t-il conclu.