Dernière mise à jour à 08h39 le 31/01
La loi anti-casseurs, présentée par le gouvernement français comme une réponse aux violences qui ont émaillé les manifestations des "gilets jaunes", suscite des critiques à droite comme à gauche de l'échiquier politique. En témoignent les 253 amendements déposés que l'Assemblée nationale doit examiner à partir de ce mercredi dans le contexte houleux de la crise sociale que traverse le pays depuis bientôt trois mois.
Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner est monté au créneau mardi soir. Cette loi répond à un triple objectif : "prévenir les violences", "renforcer les sanctions contre les casseurs" et "améliorer les moyens d'intervention des forces de l'ordre", a-t-il assuré dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.
"Chaque semaine, une petite minorité de brutes menace, vise, attaque", a-t-il dénoncé en référence aux violences qui ont émaillé les manifestations des "gilets jaunes" mobilisés chaque samedi dans les rues du pays depuis bientôt trois mois.
"La violence ne doit pas devenir la norme, le droit de manifester doit être protégé, pas pris en otage, le calme et la sécurité peuvent être restaurés", a insisté M. Castaner, affirmant que cette loi est du côté des "libertés". "Jamais personne ne sera fiché parce qu'il a manifesté", a-t-il assuré.
Le texte, pourtant, fait débat. Jugé liberticide et potentiellement anti-constitutionnel par les uns, édulcoré et peu efficace pour les autres, il est critiqué au sein même de la majorité présidentielle. Pas moins de 253 amendements ont été déposés et devaient être examinés par l'Assemblée nationale avant le vote prévu le 5 février.
Le 7 janvier, le Premier ministre Edouard Philippe, affichant la fermeté du gouvernement, a annoncé une série de nouvelles mesures pour punir plus sévèrement les casseurs sur la base d'une proposition de loi issue des sénateurs de droite.
Le texte s'inspire notamment de mesures anti-hooligans pour autoriser les préfets à interdire de manifester toute personne "à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public", plaide le gouvernement.
Le texte "n'est en aucun cas une loi contre les gilets jaunes", a assuré mardi le ministre de l'Intérieur selon qui la loi ne concernerait qu'environ 300 personnes.
A l'origine, la loi anti-casseurs donnait aux préfets le pouvoir de créer des périmètres de sécurité aux abords des manifestations, de prononcer des interdictions administratives de manifester et de ficher les personnes concernées. Mais la première mesure a été supprimée et la troisième réécrite par la majorité en commission.
Le texte introduit le principe du casseur-payeur défendu vigoureusement par le Premier ministre. En matière de responsabilité civile, il prévoit en effet la possibilité pour l'Etat d'engager une action contre les auteurs de dommages pendant une manifestation, autrement dit de faire payer les casseurs.
Les organisations de défense des droits de l'Homme sont vent debout contre cette nouvelle loi. "La première chose, c'est le grand retour des interdictions administratives de manifester", affirme Amnesty International. Pour l'association, le texte permet de "donner tout pouvoir aux autorités politiques ou policières pour déterminer si une personne a le droit de manifester ou pas, sur la base de suspicions extrêmement faibles". Elle juge par ailleurs que la loi "va dissuader un grand nombre" de manifester.
Mardi, le Conseil de l'Europe, organisation pan-européenne regroupant 47 Etats membres basée à Strasbourg, s'est invité dans le débat. Sa commissaire aux droits de l'Homme, Dunja Mijatovic, s'est dite "particulièrement préoccupée par la disposition visant à interdire préventivement, par une décision administrative et sans contrôle préalable d'un juge, de prendre part à une manifestation", ainsi que par celle "érigeant en délit la dissimulation volontaire partielle ou totale du visage au sein ou aux abords d'une manifestation".
La veille, le président Emmanuel Macron, en déplacement en Egypte, avait "déploré" que "11 personnes aient perdu la vie" depuis le début de la crise sociale, tout en affirmant qu'aucune n'avait "été victime des forces de l'ordre".
Selon le ministère de l'Intérieur, au moins 1.700 manifestants, ainsi qu'un millier de policiers et de gendarmes ont été blessés depuis le début du mouvement des "gilets jaunes".