Dernière mise à jour à 09h35 le 01/10
La dernière hausse de 0,75 point des taux directeurs de la Réserve fédérale américaine suscite une grande inquiétude sur les marchés financiers mondiaux, car les effets des ces hausses consécutives peuvent avoir des répercussions dans le monde entier.
Lors des précédentes hausses, des groupes d'intérêt et des institutions financières américaines se sont associés pour fomenter des crises de la dette dans plusieurs marchés émergents afin de remplir leurs propres coffres.
Ces fonds vautours, qui sont l'un des outils utilisés par les Etats-Unis pour assurer leur hégémonie financière, ont, au cours des dernières décennies, pris en otage l'Equateur, l'Argentine, le Pérou, le Vietnam et de nombreux autres pays en développement, tout en empochant des sommes astronomiques.
ACHATS PREDATEURS
Le terme "fonds vautour" est une métaphore qui compare l'obsession des investisseurs pour les créances en difficulté, désormais bon marché mais très risquées, à la prédilection des vautours pour la charogne.
Ces fonds spéculatifs achètent généralement la dette souveraine de pays proches du défaut de paiement ou en défaut de paiement avec de fortes décotes sur les marchés secondaires, puis engagent des poursuites féroces contre les débiteurs pour réclamer le paiement intégral de leurs dettes et emploient toutes les tactiques possibles pour les mettre au pas, quelle que soit la durée d'une telle lutte; c'est pourquoi ils sont également surnommés "investisseurs apocalyptiques".
S'exprimant devant l'Assemblée générale des Nations unies en 2014, la présidente argentine de l'époque, Cristina Fernandez, avait accusé les fonds vautours de pratiquer un "terrorisme économique et financier", faisant référence aux querelles entre son pays et les collecteurs de dettes véreux qui ont provoqué "faim, misère et pauvreté" dans son pays.
Dans les années 1990, l'optimisme et l'opportunisme émanant de Wall Street, combinés à un important afflux d'argent en Argentine, ont poussé Buenos Aires à émettre de plus en plus d'obligations, portant sa dette à des niveaux qui se sont avérés ruineux par la suite.
Pendant ce temps, dans le cadre de sa réforme néolibérale soutenue par Washington, le pays a permis l'adossement de sa devise, le peso argentin, au dollar américain (1 peso = 1 dollar), un taux de change fixe qui a rendu son économie non compétitive, l'appréciation de la monnaie ayant provoqué une perte massive d'exportations et d'emplois, ainsi que la grande dépression argentine de 1998-2002.
En 2001, l'Argentine a fait défaut sur 100 milliards de dollars d'obligations souveraines. Le pays insolvable a proposé des réaménagements de sa dette à deux reprises en 2005 et 2010, acceptés par quelque 92% des créanciers. En revanche, une poignée de fonds vautours qui avaient acheté à prix avantageux ces obligations défaillantes ont ignoré ce processus de règlement. En 2005, ils ont traîné l'Argentine devant la justice américaine, qui avait juridiction sur les obligations, pour recouvrer le principal et les intérêts.
Martin Guzman, économiste à la Columbia Business School et ancien ministre argentin de l'Economie, a estimé que NML Capital, une filiale d'Elliott Management dirigée par Paul Singer, a acquis pour 48 millions de dollars en 2008 ces obligations d'une valeur nominale totale d'environ 620 millions de dollars.
Du point de vue de Buenos Aires, les fonds vautours se livraient pratiquement à un chantage sur la question de la dette, car ils n'avaient accordé aucun prêt et avaient sciemment acheté à bas prix des obligations défaillantes.
Cependant, un tribunal fédéral américain a interdit en 2014 à l'Argentine de rembourser les autres détenteurs d'obligations tant qu'elle n'aura pas payé les créanciers récalcitrants, en se fondant sur la clause d'égalité de traitement du droit des contrats, et a forcé le pays à conclure un accord en 2016 avec les fonds vautours en leur versant 4,65 milliards de dollars, une somme équivalente à 0,83% du PIB de l'Argentine cette année-là, mettant ainsi un terme à 15 ans de bataille judiciaire.
SOUTIEN DU POUVOIR JUDICIAIRE AMERICAIN
Bien que les fonds vautours de Wall Street aient tendu des pièges de la dette à travers le monde ces dernières décennies, le "péché originel" est venu de l'establishment américain, qui a créé des proies et pressuré les pays pauvres.
Dans le cas de l'Argentine, son défaut de paiement et sa crise financière de 2001 ont découlé des réformes néolibérales du gouvernement du président Carlos Menem entre 1989 et 1999 et basée sur le "consensus de Washington", un ensemble de politiques économiques promues par les institutions basées à Washington qui a ouvert la porte à la catastrophe économique en Argentine. Lorsque des responsables politiques de gauche sont entrés en fonctions et tenté de restructurer la dette, les investisseurs vautours se sont mis à tirer profit des créances défaillantes sous l'égide de la juridiction américaine.
Après que les détenteurs d'obligations récalcitrants dirigés par NML Capital ont intenté des poursuites, le juge Thomas Griesa du tribunal du district sud de New York a statué en 2012 que l'Argentine devait les rembourser à leur pleine valeur. Le débiteur a fait appel devant la Cour suprême des Etats-Unis, qui a finalement confirmé ce jugement.
En juin 2014, l'Argentine a déposé 539 millions de dollars sur le compte de l'administrateur fiduciaire, la Bank of New York Mellon, pour rembourser ceux qui avaient accepté les échanges de créances, mais la décision du juge Griesa a bloqué le transfert de l'argent, citant le défaut de paiement de l'Argentine aux créanciers récalcitrants.
Standard & Poor's a rapidement donné un autre coup de poing à l'Argentine en réduisant sa note de B à B-, suggérant une perspective négative sur une note déjà profondément plombée par les obligations spéculatives. Cette dégradation a naturellement aggravé la solvabilité de l'Argentine.
"C'était la première fois dans l'histoire qu'un pays voulait et pouvait payer ses créanciers, mais en a été empêché par un juge", a écrit le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, professeur titulaire à l'Université de Columbia, dans un article critiquant la décision du juge Griesa. Celle-ci "encourage les comportements usuraires" et "menace le fonctionnement des marchés financiers internationaux", a-t-il déploré.
De toute évidence, les litiges internationaux intentés par les fonds vautours américains sont utiles pour l'hégémonie financière et la juridiction au bras long des Etats-Unis. Compte tenu de leurs liens étroits avec le Congrès américain et la Maison Blanche, les financiers de Wall Street ont la motivation et la capacité d'intervenir dans la législation et l'élaboration des politiques pour garantir leurs propres intérêts, a noté Zhang Yuewen, chercheur à l'Institut des finances et des banques de l'Académie chinoise des sciences sociales.
Dans les médias américains, Paul Singer, le patron d'Elliott, est toujours décrit comme un méga-donateur du Parti républicain. Le New Yorker l'a qualifié d'"activiste donateur" en référence à sa profonde implication avec les candidats et le financements électoraux du GOP.
AGGRAVATION DU "PIEGE DU DEVELOPPEMENT"
A la suite de l'accord conclu en 2016 par l'Argentine avec les créanciers récalcitrants, le juge Griesa a levé l'injonction qui empêchait ce pays de lever de nouveaux fonds sur les marché obligataires ou de payer ses créanciers, ce qui lui a permis de sortir de la catégorie "défaut de paiement sélectif" et de revenir sur les marchés de capitaux internationaux pour la première fois en 15 ans.
Néanmoins, pour des pays endettés comme l'Argentine, un retard aussi long dans la restructuration de la dette a constitué une perte majeure de richesse nationale, obérant des opportunités de croissance et de développement. Avec un crédit international sérieusement endommagé et des canaux de financement obstrués, le chemin de l'Argentine vers la reprise économique a été long et difficile.
Juan Pablo Bohoslavsky, ancien expert indépendant des Nations Unies sur la dette extérieure et les droits de l'Homme, a déclaré que "les litiges liés aux fonds vautours ont coûté cher à certains Etats, en détournant des fonds publics vers des formes douteuses de service de la dette, qui devraient plutôt être utilisés pour lutter contre la pauvreté, améliorer les soins de santé publics ou l'éducation et relancer les économies des débiteurs".
L'ancien secrétaire général de l'Organisation des Etats américains, José Miguel Insulza, a estimé qu'un Etat en banqueroute, ça porte un coup aux pauvres, mais que ce n'est jamais un "gros problème" pour les spéculateurs internationaux, pour qui le malheur de la dette des autres est leur fortune.
De 2012 à 2016, le taux de croissance de l'Argentine a oscillé entre -2,5% et 2,7%, tandis que l'inflation s'est envolée entre 22,3% et 41,1%. Aujourd'hui encore, elle demeure le pays d'Amérique latine dont la dette publique est la plus élevée par rapport à son PIB.
Malheureusement, l'Argentine n'a pas été la seule victime à être tombée dans les pièges tendus par les fonds vautours, lesquels se sont attaqués à plusieurs reprises à des pays en difficulté, de l'Amérique latine à l'Asie, en passant par l'Afrique et l'Europe.
Pierre Jacquemot, qui a été ambassadeur de France au Kenya et au Ghana, a indiqué qu'au moins 32 pays africains ont été confrontés à des batailles juridiques avec des fonds vautours sur des questions de mauvaises créances. Ces fonds ont gagné environ 75% de leurs procès.
Récemment, le célèbre gourou de la restructuration Lee Buchheit a prévenu que le Sri Lanka pourrait être le prochain pays dans le collimateur des investisseurs vautours.
Des données du Département des ressources extérieures du Sri Lanka montrent qu'en avril 2021, la plupart de sa dette extérieure est détenue par des fonds vautours et des banques occidentales, notamment américaines, qui en détiennent près de la moitié, soit 47%.
Début juin, brandissant de faux vautours grandeur nature, un groupe de militants a pris d'assaut les locaux d'Elliott Management et de GoldenTree Asset Management, deux célèbres fonds spéculatifs basés à New York, pour protester contre les prédateurs financiers qu'ils représentent.
Répugnés par la cupidité éhontée de ces vautours qui profitent de nations en souffrance, les militants ont scandé : "Pas un centime de plus".