Dernière mise à jour à 08h56 le 01/12
En visite d'Etat à Washington, le président français Emmanuel Macron entend plaider pour l'atténuation ou la suppression des dispositions protectionnistes américaines qui pourraient léser les entreprises européennes, un programme qui ne sera pas facile à mettre en oeuvre, selon plusieurs analystes.
M. Macron a atterri mardi soir dans le Maryland, sur la base d'Andrews, non loin de Washington, pour une visite d'Etat de trois jours aux Etats-Unis. A l'invitation de son homologue américain Joe Biden, le président français est confronté à traiter un programme de grande ampleur, de nature économique et stratégique, qui atteindra son acmé jeudi soir.
Le président français entend négocier un partenariat privilégié entre l'Europe et les Etats-Unis. En effet, le plan américain de lutte contre l'inflation, qui prend la forme de l'Inflation Reduction Act voté en août dernier, et qui prendra effet le 1er janvier 2023, risque, par effet collatéral, de léser des entreprises européennes.
UNE LOI PROTECTIONNISTE QUI PENALISERA LES CONSTRUCTEURS EUROPEENS
L'Inflation Reduction Act est un paquet législatif de 430 milliards de dollars américains qui prévoit de nombreuses dispositions telles que des aides massives accordées aux industries qui rapatrient leur chaîne d'approvisionnement aux Etats-Unis, ou encore l'exclusion des modèles fabriqués par des constructeurs non-américains des crédits d'impôt de 7.500 dollars accordés aux acheteurs de voitures électriques.
Cette loi pourrait donc menacer l'emploi et la croissance économique en Europe, puisqu'elle accorde des privilèges aux entreprises américaines ou à celles implantées sur le territoire américain.
Son but : valoriser une filière automobile électrique nationale au détriment des concurrents étrangers. General Motors, Ford, Tesla ou encore Chrysler passeront avant Renault, Peugeot, BMW, Volkswagen, Porsche ou Fiat. Pour la Commission européenne, cette loi pourrait avoir pour conséquence de créer "une diversion significative de la production et des futurs investissements, de menacer l'emploi et la croissance économique en Europe et ailleurs".
"Hélas pour les Européens, le texte de l'Inflation Reduction Act, modèle de mariage du 'progressisme écologique' avec le nationalisme industriel, laisse peu de marge au fisc américain pour une interprétation qui leur soit favorable", écrit Pierre-Yves Dugua, journaliste du quotidien français Le Figaro.
Encore faut-il rappeler que la version votée par le Sénat est bien moins protectionniste que celle qui avait été prévue par le président américain durant plusieurs mois. Celle-ci favorisait les compagnies employant des membres du syndicat unique des ouvriers automobile (United Auto Workers, UAW), une "centrale qui finance généreusement les campagnes des candidats démocrates", a fait remarquer M. Dugua. Après le Make America Great Again de Donald Trump, voici venu le temps du Make Unions (les syndicats, ndlr) Great Again de Joe Biden.
DES NEGOCIATIONS NECESSAIRES POUR LES EUROPEENS
Les négociateurs de l'Union européenne espèrent obtenir le 5 décembre des gestes concrets de l'Administration Biden pour éliminer, ou reporter, les dispositions de la loi. Car le 1er janvier prochain, un premier crédit d'impôt de 3.750 dollars s'appliquera aux voitures électriques assemblées au Canada, aux Etats-Unis et au Mexique, membres de l'Accord de libre-échange nord-américain. Ce qui devrait pénaliser les modèles asiatiques et européens.
A partir de 2024, un deuxième crédit d'impôt de 3.750 dollars entrera en vigueur, conditionné à l'usage, dans la batterie, de minerais venus des Etats-Unis ou d'un pays signataire d'un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, comme la République de Corée ou le Japon. A l'inverse, les pays européens, la Russie et l'Iran seraient exclus de ce dispositif.
UNE VISITE D'ETAT AUX ENJEUX FONDAMENTAUX
Mercredi soir, le couple Macron dînera en privé avec le couple Biden en attendant le dîner d'Etat et la réception à la Maison Blanche prévus jeudi soir. Parmi les membres de la délégation française, on retrouve les patrons des plus grandes entreprises françaises comme Xavier Niel (Free), Bernard Arnault (LVMH), Patrick Pouyanné (Total), ou encore Luc Rémont (EDF).
Mais au-delà de cette visite en grande pompe, des résultats concrets sont attendus. "Emmanuel Macron, qui s'envole pour la Maison Blanche ce mardi, tient donc une occasion unique d'engager ce combat. Il s'y rend avec la fierté d'être le seul président français à y avoir fait deux visites d'Etat. Ces honneurs de salon ont toutefois bien peu d'importance : plus que d'amour, l'Europe et la France ont besoin de preuves d'amour, sonnantes et trébuchantes", écrit Lucie Robequain, rédactrice en chef en charge des enquêtes, de l'international et de la France au journal économique Les Echos.
"Comment accepter que les Européens paient le gaz texan cinq fois plus cher que les consommateurs américains ?", écrit l'analyste, qui qualifie même de "racket intolérable" l'attitude de Washington.
"Comment tolérer que de grandes entreprises - Siemens, BMW, Volkswagen - ne jurent plus que par l'Amérique, éblouis par les milliards de dollars promis ? Un exode qui pourrait signer la condamnation de l'industrie européenne", précise Mme Robequain, qui estime que si les Etats-Unis constituent un "partenaire nécessaire" de la France, ils représentent aussi "un rival systémique".