Dernière mise à jour à 10h32 le 21/08
Pour Betty Barr, professeur retraitée de 87 ans de l'Université des études internationales de Shanghai, son expérience de la guerre d'il y a 75 ans, est ancrée dans sa mémoire et trop difficile à oublier.
"Certains films hollywoodiens ont présenté des scènes de la Seconde Guerre mondiale à Shanghai. Mais, dans l'ensemble, ils étaient assez éloignés de la réalité", déclare Mme Barr. "J'ai personnellement vécu la vie dans le camp de Longhua après l'éclatement de la guerre du Pacifique, et j'ai assisté à la fin de la guerre il y a 75 ans", évoque-t-elle dans son domicile à Shanghai.
Soixante-quinze ans plus tard, l'une de ses impressions les plus profondes est le ciel bleu qu'elle a vu un jour. En avril 1945, des avions américains ont marqué le ciel en forme de V pour informer les internés de Shanghai de la victoire des Alliés en Europe, déclare Mme Barr.
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, Mme Barr et son mari, George Wang, sont restés à la maison la plupart du temps. A une occasion, ils ont donné une conférence en ligne sur la Seconde Guerre mondiale à des adolescents à New York, en partageant leurs propres histoires.
Mme Barr est d'avis qu'il faut se souvenir de l'histoire pour éviter que de telles catastrophes ne se reproduisent à l'avenir. A l'approche du 75e anniversaire de la victoire dans la Guerre de résistance du peuple chinois contre l'agression japonaise et la guerre mondiale antifasciste, qui tombe le 3 septembre, Mme Barr a partagé plus de détails sur ses expériences entre 1943 et 1945.
Née à Shanghai en 1933, Mme Barr est la fille d'un professeur missionnaire écossais et d'une Américaine venus à Shanghai en 1924 et 1930 respectivement. En 1937, lorsque l'armée japonaise a déclenché l'incident de Lugouqiao, sa famille et elle étaient en sécurité à Dallas, au Texas. Pourtant ils sont rentrés à Shanghai en 1938.
En 1943, les envahisseurs japonais ont décidé de déplacer les expatriés britanniques et américains à Shanghai vers ce qu'on appelle les centres de concentration des civils. Le camp de Longhua était l'un d'entre eux, et Mme Barr y a vécu pendant plus de 800 jours.
Le 10 avril 1943, deux jours après son dixième anniversaire, Mme Barr, se tenait dans la ruelle et regardait ses parents sceller la porte de leur maison, sur ordre des autorités japonaises, en collant deux longues feuilles de papier blanc en diagonale.
Après cela, Mme Barr et toute sa famille sont partis pour le Centre de concentration de Longhua, en cyclo-pousse puis en bus. Le centre, autrefois site d'une célèbre école de Shanghai, est maintenant le campus du Lycée de Shanghai. Dans le camp, elle n'était plus Betty Barr, mais le numéro "22/228".
Les pénuries de nourriture, le froid, les maladies et les "règles du camp" tourmentaient tous les détenus. Malheureusement, Mme Barr et son père ont tous deux contracté la malaria.
Sa mère a gardé un carnet dans lequel elle a inscrit 1.033 "règles du camp".
"Notre première préoccupation était la nourriture. Nous, qui étions assis dans nos salles à manger en attendant que nos cuisiniers nous servent, devions maintenant faire la queue dans les salles communes, en tendant nos assiettes, bols et tasses émaillés pour les maigres rations qui nous ont été soigneusement distribuées", écrit la mère de Mme Barr dans son journal.
Mme Barr se souvient toujours de l'été 1943, lorsqu'un typhon a balayé le camp. Tous les internés vivant dans des baraques en bois ont dû se réfugier dans le hall de rassemblement le matin après le passage du typhon.
Selon elle, le véritable début de la fin a commencé en novembre 1944. Pour la première fois, des avions américains survolèrent le camp à basse altitude et bombardèrent l'aérodrome de Longhua situé à proximité.
Puis vint l'hiver 1944-1945. Ce fut un hiver extrêmement froid, qui dura presque trois mois complets, d'après Mme Barr.
On était en pénurie de vêtements, surtout pour les enfants en pleine croissance. "Une bonne amie, qui avait quelques mois de plus que moi et était plus grande, m'a donné ses vêtements. Après les avoir portés pendant un an, je les ai rendus à sa jeune soeur pour qu'elle les réutilise", se souvient-elle.
Le dernier moment est arrivé le 15 août 1945, lorsque le Japon a annoncé sa reddition sans condition. "Les Suisses ont pris le contrôle du camp à midi, après qu'il a été confirmé que la guerre était terminée. Une grande jubilation", selon le journal de la mère de Mme Barr.
La Seconde Guerre mondiale a dévasté l'Europe, l'Asie et l'Afrique. Les effusions de sang et les bombardements ont traversé quatre océans. Plus de 20 millions de kilomètres carrés de terres et deux milliards de personnes se sont engagées.
Aujourd'hui, 75 ans se sont écoulés depuis que Betty Barr a levé les yeux et a vu les signes du "V" dans le ciel. Elle a perdu son enfance à cause de la guerre.
Elle peut aujourd'hui profiter d'une vie heureuse en temps de paix. Mais ceux qui ont été arrachés à la vie par la guerre ont perdu à jamais la possibilité de vieillir.
"Je rêve de paix dans le monde entier, et j'espère que les enfants pourront vivre sur une terre d'harmonie et de joie", déclare-t-elle.