Dernière mise à jour à 17h27 le 27/04
"Voici les noyaux des plasmodiums provenant des Comores, du Cambodge et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée", indique Song Jianping, directeur du centre de recherche sur l'artémisinine à l'Université de médecine traditionnelle chinoise (MTC) de Guangzhou, en présentant dans son laboratoire des frottis d'échantillons sanguins témoignant ses décennies de lutte contre le paludisme aux quatre coins du monde.
Song Jianping, âgé de 58 ans, est toujours en première ligne de la recherche au quotidien, alors que son tuteur, Li Guoqiao, a pris sa retraite en 1996, et que les jeunes experts de son équipe sont en train de devenir des piliers dans la lutte contre le paludisme en Afrique.
La Chine a découvert et extrait l'artémisinine durant sa longue lutte contre le paludisme. En 2015, la scientifique chinoise Tu Youyou a remporté le prix Nobel de physiologie ou médecine, faisant peu à peu connaître au grand public l'équipe de trois générations de chercheurs sur l'artémisinine, dirigée par Li Guoqiao et Song Jianping.
Si Tu Youyou a été la première à découvrir l'efficacité des extraits de la plante Artemisia annua, Li Guoqiao a été le premier à prouver cliniquement l'efficacité de l'artémisinine. Dans les années 1980, il s'est injecté à deux reprises du sang contenant du plasmodium pour rechercher des remèdes antipaludiques efficaces. Aujourd'hui encore, on trouve dans des manuels médicaux les données issues des expériences de Li Guoqiao et de ses collègues qui ont joué le rôle de leurs propres cobayes.
L'artémisinine a un effet très fort sur le plasmodium et peut accélérer l'éradication des foyers infectieux dans les populations, explique Song Jianping. "Ce sont les efforts de nos prédécesseurs dans la recherche médicale qui ont conduit à la découverte et à l'application de ce médicament. Ce dernier a joué un rôle très important dans l'éradication du paludisme en Chine et dans la lutte contre cette maladie dans le reste du monde."
Au fil des décennies, l'équipe de Li Guoqiao et Song Jianping a travaillé dans des pays et régions tels que le Vietnam, le Cambodge et le Kenya pour contribuer à la lutte antipaludique. Ils ont pourtant constaté que le traitement centralisé des patients et l'élimination des moustiques, efforts basés sur les conditions et capacités médicales et sanitaires des pays développés, ne fonctionnaient pas dans les pays et régions en voie de développement.
L'équipe a adapté sa stratégie de prévention et de contrôle et proposé une approche consistant à éliminer la source d'infection du paludisme en éradiquant le plasmodium de la population grâce à l'usage universel de médicaments à base d'artémisinine.
Aux Comores, où l'on comptait au début du 21e siècle plus de 100.000 cas de paludisme, la maladie comptait parmi les facteurs rendant la santé précaire, et de nombreux enfants ne dépassaient pas l'âge de cinq ans. L'arrivée de l'équipe en 2006 a permis de changer la situation de la lutte contre le paludisme.
Pourtant, de nombreux habitants se sont montrés réticents au début. Beaucoup ne comprenaient pas. "Pourquoi ceux qui ne sont pas malades devraient-ils prendre des médicaments ?", se demandaient-ils
"A l'époque, nous faisions du travail de terrain du matin au soir, nous réunissions les habitants et nous faisions du porte-à-porte pour généraliser les connaissances sur la prévention du paludisme", déclare Deng Changsheng, précisant avoir essuyé un nombre incalculable de refus.
La situation s'est améliorée peu à peu. En 2007, le président des Comores, le ministre de la Santé et d'autres personnalités ont pris la tête de la campagne de traitement universel sur l'île de Mohéli ; en 2012 et 2013, les îles d'Anjouan et de Grande Comore ont mis en œuvre l'élimination de la source du paludisme, avec plus de 2,2 millions de personnes prenant le médicament. En 2014, les Comores n'ont enregistré aucun décès dû au paludisme, et le nombre de cas de la maladie a baissé à 2.142, soit une diminution de 98% par rapport à 2006.
Suite au succès de cette approche antipaludique aux Comores, plusieurs pays africains tels que le Togo, le Malawi, le Kenya, la Gambie et le Sénégal ont commencé à travailler avec la Chine, et les points essentiels de l'approche ont été intégrés en 2017 dans les lignes directrices de l'Organisation mondiale de la santé pour l'accès universel aux médicaments.
Depuis plus de 30 ans, l'équipe de l'Université de MTC de Guangzhou mène des recherches sur l'artémisinine pour lutter contre le paludisme, envoyant plus de 300 membres du personnel médical dans une trentaine de pays d'Asie et d'Afrique où le paludisme est endémique. Aujourd'hui, la solution chinoise consistant à éradiquer la source d'infection du paludisme par l'usage universel des médicaments à base d'artémisinine s'élargit progressivement sur la scène internationale.