L'assaut lancé depuis jeudi dernier par l'armée algérienne pour libérer les quelque 800 otages détenus dans le site gazier de Tiguentourine à In Amenas (Illizi, sud-est) s'est soldé par la perte de 23 âmes civils, un bilan provisoire qui risque de s'alourdir prochainement. L'intervention rapide de l'armée, "à la Poutine" selon les médias locaux, a vivement suscité des remises en doute de la part des pays dont les ressortissants sont concernés dans la prise d'otage. Pourquoi l'Algérie a tenu à opter pour un assaut rapide au mépris de risque de perte humaine?
Selon des sources concordantes, plusieurs raisons sont avancées sur cette question.
D'abord, il y a la détermination des terroristes à vouloir quitter le site en emmenant avec eux des otages étrangers.
D'après des sources de sécurité, les terroristes ont tenté à plusieurs reprises de quitter la base avec des otages. La dernière tentative s'est faite par la sortie de six véhicules des terroristes, avec les otages à bord, ce qui a déclenché l'assaut de l'armée.
"Les forces spéciales ont attaqué l'installation de gaz afin d'empêcher les militants de s'enfuir avec les otages", a fait savoir à Xinhua Salim Kelala, professeur à la faculté science politique à l'Université d'Alger.
"L'intervention était la meilleure option, étant donné que de telles situations se terminent généralement par des pertes en vies humaines, comme les ravisseurs ont tendance à exécuter froidement les otages pour forcer et presser sur le côté adversaire pour répondre à leurs revendications. Ainsi, les militants sont responsables de la mort des otages", a déclaré M. Kelala.
Dans le même ordre d'idée, Bachir Medjahed, politologue et consultant, a fait remarquer dans son intervention à Xinhua qu'"il faut aussi retenir que ce sont les terroristes qui ont forcé la main aux militaires pour qu'ils mènent l'assaut. Les groups djihadistes voulant forcer le cordon et tenter d'emmener des otages avec eux, les militaires ne les ont pas laissé faire. C'est ce qu'aurait fait n'importe quelle autre armée au monde".
"Certains ont également dit pourquoi ne pas patienter le temps de préparer une intervention chirurgicale. Mais la question que je pose est celle de savoir si la situation s'y prête?", s'est-il interrogé.
"Il faut savoir que les forces de l'armée ont face à eux des fanatiques lourdement armés et déterminés à mourir en tuant tous ceux qui se trouvent avec eux", a souligné M. Medjahed.
"Aussi, la zone aride dans laquelle se situe le site, et le risque de voir des blessés s'ajouter à la liste des morts du fait du manque de soins médicaux, autant d'éléments qui ont pesé en faveur d'une intervention qui soit au plus vite", a-t-il poursuivi.
Un autre facteur ayant contribué à la libération par force tient à la tradition de non ingérence d'Alger.
"Les forces spéciales ont attaqué si vite la facilité parce que les autorités algériennes voulaient faire face à la crise des otages sans une intervention étrangère, pour éviter de donner à la question une dimension internationale", a expliqué l'analyste Kelala.
"Je pense que le raid était la bonne option, étant donné que les autorités algériennes ont réussi à garder les nations étrangères à regarder plutôt qu'à participer à l'opération", a-t-il ajouté.
Selon le site d'information TSA citant une source sécuritaire, "il fallait intervenir rapidement pour éviter que cette prise d'otages dure dans le temps. Les pays d'où sont originaires les otages allaient accentuer leur pression et s'opposer à l'assaut".
"Les Américains, dont un drone a survolé la zone, ont proposé leur aide logistique. Les Britanniques ont formulé la même proposition. Mais les militaires algériens ont une mauvaise expérience en matière de coopération antiterroriste avec les pays occidentaux. Ils redoutent aussi qu'une aide ne se transforme en présence plus directe", a précisé cette source.
"Les militaires algériens veulent rester les seuls maîtres à bord quand il s'agit d'opération antiterroriste. Malgré les pressions, les militaires algériens n'ont pas cédé aux pressions diplomatiques, ni aux propositions d'aide", a poursuivi la même source.
Concernant les techniques de libération, Christian Prouteau, fondateur du GIGN française (unité d'élite de la gendarmerie française), a avancé, dans son intervention à TSA, une alternative à un assaut précipité dans le deuxième assaut lancé au niveau de l'usine de gaz, le premier étant au niveau de la base de vie du site.
"Pour le deuxième assaut, ils étaient retranchés dans la partie technique de l'usine et là, il n'y a pas d'eau ou pas beaucoup. On aurait pu essayer de jouer à la montre. Cela dit, on aurait pu se retrouver dans une situation semblable à celle de la prise d'otages comme cela s'est passé avec la prise d'otages à l'aéroport d'Alger en 1994", a indiqué l'expert.
"Ce n'est pas une prise d'otages traditionnelle. On est dans un schéma très compliqué qui est plus proche de la guerre. Dans la mesure où il semblait qu'il n'y avait rien à négocier (...) il n'y avait qu'une solution, c'est l'intervention. Et celle-ci, dans les conditions dans lesquelles elle s'est conduite, ne pouvait aller que vers un résultat qui est celui qu'on connaît", a-t-il dit.
Jeudi dernier, l'armée algérienne a donné l'assaut contre une installation gazière située dans la province d'Illizi (1 760 km au sud-est d'Alger) pour y libérer des otages retenus depuis la veille par un groupe terroriste. L'opération, qui s'est achevée samedi, s'est soldée par la mort de 23 travailleurs, la libération de 685 otages algériens et 107 étrangers et l'élimination de 32 terroristes, selon un bilan provisoire diffusé samedi par le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales.