Dernière mise à jour à 14h38 le 05/02
Depuis quelques semaines, l'épidémie de coronavirus qui a débuté en Chine et s'étend maintenant lentement dans le monde fait un peu partout la une de tous les journaux, et la France, qui compte le plus grand nombre de cas en Europe mais aussi la plus importante communauté chinoise du continent, ne fait naturellement pas exception. Jamais, depuis des années, on a autant parlé de la Chine dans les médias français, même si on aurait bien évidemment souhaité que ce soit pour d'autres raisons. Pas un journal télévisé qui, depuis quelque temps, ne s'ouvre ou consacre un de ses principaux sujets au coronavirus, dont l'évolution de l'épidémie est couverte par des journalistes français qui, n'écoutant que leur courage et leur professionnalisme, sont restés sur place et rapportent les faits, masque sur le visage. Et on ne compte plus les émissions spéciales tant à la radio que dans les journaux, ainsi que les innombrables articles de presse.
Pour ceux qui ont vécu l'épidémie de SRAS de 2003, ou qui se souviennent comment elle fut traitée tant par les autorités chinoises que par les médias du monde entier, le contraste est saisissant. Certes, les moyens de communication ne sont plus les mêmes qu'alors et se sont développés d'une manière qu'on n'aurait sans doute pas imaginé à cette époque. Sans parler des médias professionnels, aujourd'hui, tout le monde ou presque à un téléphone portable capable de prendre des photos et des vidéos qui sont ensuite transmises immédiatement et font le tour du monde en l'espace d'un instant ; chacun, s'il n'est pas lui-même acteur, peut instantanément devenir une sorte de journaliste, et cela change tout. Il devient difficile, sinon impossible, de cacher la vérité très longtemps, et nul ne s'en plaindra.
Du côté des autorités chinoises aussi les choses ont changé, et les médias étrangers, français notamment, ne manquent pas de le souligner à l'envi. Clairement, les leçons de l'épidémie de SRAS ont été parfaitement retenues, assimilées même, et la transparence dont fait preuve le gouvernement chinois est généralement saluée par les médias, même si chacun se doute qu'on ne sait pas tout, mais dans un pays aussi immense que la Chine, et dans une situation de pareille urgence, cela n'a rien de très étonnant. N'empêche, le résultat est là, illustration d'un pragmatisme typiquement chinois : le gouvernement a compris que la Chine a tout à gagner à se montrer aussi transparente que possible, et tout à perdre à chercher à dissimuler la vérité. Il est vrai aussi que nous ne sommes plus en 2003, et que depuis, la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale et qu'elle pèse d'un poids croissant dans le monde. Si elle veut être crédible, et la crédibilité, quand on est un pays aussi important vers qui tous les regards se tournent à raison, est essentielle, elle ne peut plus se permettre de se comporter comme il y a vingt ans. Et cela, le gouvernement chinois l'a parfaitement compris, d'où cette avalanche d'images et d'informations.
Et dans toutes ces informations, s'il y a bien une chose qui a frappé, c'est la rapidité et la force avec lesquelles le gouvernement chinois a répondu à l'épidémie. Ce qui passe lui donne raison : car si les spécialistes soulignent fort justement la relativité du problème -plus de 20 000 personnes infectées et près de 500 morts sur une population d'1,4 milliard d'habitants, même si c'est toujours trop, cela reste quand même un chiffre relativement modeste- il est hors de question de baisser la garde, car nul ne sait combien de temps encore et avec quelle ampleur l'épidémie va se propager. Les images de la construction particulièrement rapide d'hôpitaux parfaitement équipés et du verrouillage de Wuhan, dont aujourd'hui plus personne n'ignore le nom, resteront dans les mémoires et comme un autre symbole de la puissance retrouvée de la Chine. Je le sais pour l'avoir constaté autour de moi, tout cela a particulièrement impressionné de nombreux Français qui ne cachent pas leur admiration et se demandent si, au cas où la même chose arriverait en France, leur gouvernement arriverait à faire pareil.
Mais ce qui est nettement moins réjouissant, c'est, comme je le disais dans le titre de cet article, la bêtise et l'ignorance, teintées d'un nauséabond parfum de racisme anti-asiatique, ont émergé des derniers temps en France, et cela n'a rien de réjouissant. Cela témoigne une fois de plus aussi du malaise qui règne au sein de la société française. Nul n'ignore le racisme dont certaines communautés sont régulièrement victimes en France depuis de nombreuses années déjà, racisme auquel la communauté asiatique -un terme qui ne veut pas dire grand-chose tant il recouvre de nationalités et de cultures différentes, mais c'est celui utilisé ordinairement- avait jusque-là échappé. Les Français, sinon dans leur totalité du moins dans leur immense majorité, on toujours eu un immense respect et de l'admiration pour elle, citant en exemple sa discrétion, son acharnement au travail et sa réussite. Bref une communauté modèle.
Hélas, tout cela a plus ou moins volé en éclats depuis quelques semaines, et ce racisme anti-asiatique quasiment inexistant jusqu'alors a commencé à montrer son hideux visage. Régulièrement, les médias français se font l'écho de reproches, de rejet, d'insultes à l'égard de cette communauté, et en particulier les Chinois, que certains commencent à craindre et éviter voire rendre responsables de la diffusion du virus en dehors de leur pays, certains allant même jusqu'à demander l'expulsion des Chinois de France. Tout cela sur la base de craintes ridiculement exagérées -ne voit-on même pas des pharmacies en rupture de masques même dans des endroits où il n'y a pas de malades ? Il y a bien, ici et là, quelques plaisanteries bien françaises qui, si elles ne sont pas forcément du meilleur goût, prêtent plus à sourire et font effectivement sourire les asiatiques à qui elles sont faites. Cela, pas de quoi s'en inquiéter bien sûr. Mais les autres manifestations de vrai racisme -il n'y a qu'à se rendre sur certains forums en ligne pour s'en rendre compte- alimentées par l'ignorance et la bêtise, elles, sont autrement inquiétantes et leur poison se propage autrement plus vite que le virus en France. Le problème est que, si tout le monde est persuadé que l'épidémie sera tôt ou tard jugulée, le mal que certains ont distillé au sein d'une certaine frange de la société française, très minoritaire mais bien réelle, risque fort de faire bien plus de dégâts et sur un bien plus long terme que le coronavirus. Ce fléau sera vaincu, que personne n'en doute. Mais cet autre nouveau fléau qu'est le racisme anti-asiatique risque hélas de pas l'être aussi rapidement, et c'est peut-être le plus inquiétant.
Par Laurent Devaux