L'autorisation d'enseigner en langue anglaise à l'université française suscite la controverse sur la scène politique et universitaire de l'Hexagone, alors que le projet de loi devant permettre cette "entorse" à la loi Toubon de 1994 doit être soumis mercredi à l'examen de l'Assemblée nationale.
Pour la ministre française de l'Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, qui défend cette réforme, une telle évolution permettrait de reconnaître une situation de fait, en cours depuis des années, notamment dans les "grandes écoles", et de l'élargir aux établissements universitaires, l'objectif étant d'en accroître l'attractivité au niveau international.
"Il faut en finir avec cette hypocrisie", s' est exclamée Mme Fioraso, dans une interview publiée mardi par le journal économique Les Echos, soulignant que "l'article contesté (de son projet de loi) régularise plus de situations existantes qu'il n'ouvre de nouvelles possibilités".
Elle a notamment indiqué que pas moins de 790 formations étaient déjà dispensées à l'heure actuelle en langue étrangère, an grande majorité en anglais, dans les établissements d'enseignement supérieur français, "le plus souvent en infraction avec la loi Toubon de 1994 qui ne prévoit que quelques rares dérogations".
Ladite loi, visant à défendre la singularité linguistique de la France, énonce notamment que le français est "la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics", tout en prévoyant un nombre limité d'exceptions.
"Cette situation de fait (d'enseignement en anglais) a été tolérée pendant plus de quinze ans sans que personne ne s'en offusque", a-t-elle constaté, associant ce silence au fait que c'est un phénomène touchant "d'abord les grandes écoles", établissements d'excellence propres à l'enseignement supérieur français et accueillant l'élite du pays.
"Comme si ce qui était acceptable pour elles l'était moins pour les universités, qui accueillent pourtant plus de jeunes des milieux défavorisés n'ayant pas toujours la chance de voyager!", a regretté la ministre.
Mme Fioraso a dit vouloir par l'autorisation d'un tel enseignement non-francophone "envoyer un signal aux jeunes des pays émergents qui hésitent à venir étudier en France parce qu'il n'y pas de cours d'appel en anglais".
"En dix ans, (notre pays) est tombé de la deuxième à la cinquième place dans le monde en termes d'accueil des étudiants étrangers", a-t-elle déploré, souhaitant par cette nouvelle loi inverser la tendance.
Mais, une partie de la classe politique et des enseignants universitaires de l'Hexagone ne voit pas cette volonté d'un si bon œil, craignant pour la sauvegarde et le rayonnement de la francophonie.
"En formant ses élites en anglais, la France envoie un mauvais signal aux pays francophones et il y aura progressivement une baisse de la pratique du français dans le monde", si l'article 2 du projet de loi Fioraso était adopté, a estimé pour sa part le député socialiste Pouria Amirshahi, opposé à ce texte législatif alors même qu'il fait partie de la majorité gouvernementale.
"La France doit avoir confiance en elle", a-t-il préconisé, dans une interview également parue dans Les Echos de mardi, appelant à "organiser la communauté scientifique francophone mondiale".
"Sait-on par exemple qu'il y a 100.000 apprenants français en Chine ? Pourquoi passer à côté de ce potentiel ?", a-t-il encore souligné, ne cachant pas son attachement à l'essor du français, "la deuxième langue étrangère enseignée dans le monde".