Je travaille en Chine depuis quelques années. Récemment, le sort a voulu que je fasse un séjour en clinique. C'est à l'hôpital n°304 de l'Armé populaire de Libération de Chine à Beijing que j'ai été admis.
Voici mon lit. Un mètre à peine me sépare de mes voisins de droite et de gauche. C'est ici que je m'apprête à passer une semaine. Mon arrivée suscite une vague de stupeur chez mes trois compagnons de chambrée et leurs nombreux proches en visite. Quoi, un étranger ici ! Je n'ai pas le temps de poser mon sac que mon voisin de gauche, un vieil homme, me demande pourquoi je ne suis pas dans une chambre individuelle. Celui de droite me bombarde de questions : de quel pays je viens ? Où j'habite ? Si je suis marié ? Combien je gagne ? Je refuse de répondre à la dernière question, c'est un secret !
Mon voisin de gauche, qui semble penser que j'ai été pistonné, me demande comment je suis parvenu à avoir une place. C'est le meilleur hôpital pékinois pour les hernies, me dit-il. Ah bon je ne savais pas. Je remercie intérieurement M. Gao, mon ancien voisin, un pensionné, qui s'est renseigné pour moi et m'a introduit auprès du docteur Tian. Celui-ci m'a confié aux soins du docteur Li, le chef du département de chirurgie générale. Deux semaines plus tard, il s'excusait de ne pouvoir m'opérer comme prévu et me renvoyait au docteur Zhu, lequel manie un peu d'anglais.
« Hier on t'a vu avec le docteur Zhu, le big boss du département, il t'a accordé énormément de temps. » Je sens dans les propos de mon voisin du côté de la fenêtre comme une pointe de jalousie. C'est vrai que je ne m'attendais pas à pouvoir entrer si vite. J'ai aussi l'impression que mon statut d'étranger m'a donné comme un passe-droit. Comme souvent, les Chinois prêtent volontiers assistance aux étrangers.
Mais ce n'est pas tout ! Comment se fait-il que j'ai reçu une clé et un casier pour mettre mes affaires. « Et nous, on peut aussi avoir une clé si on donne 100 yuans de caution ? » demande mon voisin de droite à l'infirmière, qui cherche à s'esquiver. Je suis obligé de me défendre : « Je n'ai personne qui me rende visite, ou à qui je puisse confier mes affaires. Et je dois cacher mon passeport ! » Ouf, on me donne raison.
Une hernie inguinale est une opération banale. La mienne ne s'est déclarée qu'il y a un mois. Les médecins belges pensent qu'il ne doit y avoir aucun risque à faire en Chine une opération aussi simple. Le docteur Tian pense même que les médecins chinois sont meilleurs que les Européens. « Les gens sont nombreux en Chine, et les médecins ont une riche expérience. »
Dans l'état actuel des choses, en Chine comme en Belgique, je peux bénéficier d'un remboursement, au moins partiel. Je décide de prendre le risque, et de faire l'opération ici. Advienne que pourra. J'entre à l'hôpital, je paie une avance de 5 000 yuans (environ 625 euros) et je revêts le pyjama rayé des pensionnaires. Une femme médecin m'explique le règlement. Elle voudrait que je signe une décharge pour l'hôpital au cas où il y aurait de grosses pertes de sang, des douleurs postopératoires persistantes, ou encore si le filet qu'ils auront placé dans le ventre venait à se détacher. « Cela n'arrive qu'une fois sur mille », indique-t-elle en voyant ma figure se décomposer. Pas rassurant, mais bon, que puis-je faire ? Je signe.
Arrivé au premier soir, les filles respectives de mes voisins de gauche et de droite ne font pas du tout mine de s'en aller. Je comprends qu'elles passeront la nuit ici. Entre le vieillard à ma gauche et moi, il y a juste assez d'espace pour déployer un fauteuil-lit pour que sa fille s'y allonge. Elle me dit fièrement : « Alors, dans votre pays, les enfants sont-ils aussi dévoués aux parents ? ». En fait tous les pensionnaires ont des proches qui se relaient pour leur tenir compagnie, et aller leur chercher à manger. Je suis le seul à devoir me débrouiller sans l'aide de personne. Et c'est vrai que les proches font preuve d'une assistance exemplaire au malade, même si l'on sent parfois que ça leur pèse. J'ai d'ailleurs assisté à quelques éclats d'humeur.
La nuit : gémissements, ronflements, étranglements, expectorations bruyantes, murmures, ballet d'infirmières et air conditionné à plein tube. Le matin, les médecins, rangés derrière leur chef, rendent visite à chacun de leurs malades. Une équipe exclusivement masculine à peine sortie, voici une troupe d'infirmières, menées par leur chef, qui vient s'enquérir des malades et leur donner des instructions. Puis c'est la télévision, toute la journée.
Salle d'opération : comme partout dans le monde, la froide logique qui dépossède le patient de son corps. Il faut s'abandonner aux mains des chirurgiens. L'opération dure une bonne heure. Je les entends discuter. Le docteur Zhu remarque à quel point notre graisse est jaune. La graisse des Chinois est blanche apparemment. Comme quoi, il ne faut pas se fier aux seules apparences ! À l'intérieur, tout est inversé.
Je vais pouvoir partir plus tôt. Dans ma chambre, les anciens sont déjà partis, et des nouveaux les ont remplacés. Dans les couloirs aussi, on a placé des lits en plus, tant il y a du monde. La femme médecin qui secondait M. Zhu pendant l'opération m'a dit qu'elle travaillait sept jours sur sept. Il n'y a pas assez de diplômés en médecine. Et leur salaire n'est pas si élevé.
Je suis content d'avoir finalement choisi de se faire cette opération en Chine, même s'il est sans doute encore trop tôt pour tirer un bilan définitif. Le docteur Zhu est satisfait et se montre optimiste pour la suite. Je crois que j'étais le seul blanc de tout l'hôpital. Je me suis fait Chinois pour le temps de l'opération, j'ai laissé ma vie entre les mains des chirurgiens, j'ai accepté de partager mon quotidien avec des gens ordinaires, qui comme moi, dépendent de l'hôpital pour poursuivre leur vie au mieux. J'ai supporté la promiscuité et parfois l'indiscrétion des Chinois, mais j'ai aussi pleinement profité d'une forme de chaleur humaine, faite de naturel et de simplicité, qu'on ne trouve qu'ici.