Alors oui, ces gens partent, ou souhaitent partir, et nombreux sont qui le déplorent, craignant aussi, au-delà du côté anti-patriotique de la chose, une fuite de capitaux ; c’est sans doute vrai, mais je doute fort que ces fuites de capitaux mettent à mal la santé financière de la Chine, tant il est vrai que les entrées de capitaux restent encore considérables ; la Chine est encore considérée de par le monde comme un des meilleurs endroits pour investir… je comprends cependant volontiers que ceux que cette fuite désole préfèreraient sans doute que ces capitaux restent dans le pays.
Ce phénomène est assez nouveau en Chine, où jusqu’à présent, ceux qui partaient le faisaient poussés par la pauvreté et dans l’espoir d’une vie meilleure à l’étranger ; pauvres et souvent peu éduqués, ils se sont battus et ont souvent réussi, et leur départ n’a en général pas été préjudiciable à la Chine. Mais aujourd’hui, ceux qui sont tentés de partir sont souvent, outre riches, bien éduqués. Plus que la perte de capitaux –ils peuvent toujours venir de l’étranger- c’est plutôt de la fuite de cerveaux qu’il faudrait s’inquiéter. Mais en Europe, et notamment en France, ce phénomène est déjà présent depuis quelques années, et il a encore fait les grands titres récemment avec l’affaire Bernard Arnault, qui a manifesté son désir d’acquérir une résidence en Belgique, à la fureur du Gouvernement et de nombreux Français, qui tout comme les Chinois l’ont fait avec Zhang Lan, ont eu vite fait de le qualifier de traitre… oubliant au passage les nombreux chanteurs, acteurs ou sportifs qu’ils admirent tant, et qui sont eux aussi partis pour d’autres cieux… mais il est vrai qu’en France, le mot même de « patron » frise quasiment l’insulte dans la bouche de beaucoup. Et que les Français ont un problème avec l’argent et la réussite ; ce qui ailleurs, notamment aux Etats-Unis, suscite les félicitations et l’émulation, entraîne souvent ici jalousie, rancœur et même haine parfois. En ce sens, la Chine et la France sont proches ; plutôt que de jalouser et de détester les riches, mieux vaudrait plutôt essayer de savoir comment ils ont fait pour en arriver là et s’en inspirer. Mais il est vrai que la haine de l’autre, c’est parfois aussi bien commode pour ne pas avoir à évoquer ses propres échecs, son incapacité ou sa malchance… jalouser, haïr ceux qui ont plus d’argent ne vous fera pas en gagner plus. Il n’en reste pas moins que cette volonté affichée de partir à l’étranger –souvent pour des raisons fiscales en France, et manifestement pour des raisons de qualité de vie en Chine- témoigne de problèmes certains, qu’il serait imprudent de négliger.
Etre riche, ce n’est pas une mauvaise chose ; ce qui est mal, c’est que le fossé des richesses ne cesse de s’aggraver, en Chine comme nous le savons tous, mais en France et en Europe aussi. Personnellement, ce n’est pas le fait que ces personnes soient immensément riches qui me dérange. C’est que trop de gens soient pauvres. De ce côté-là du monde comme de l’autre, on constate que les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. En France aussi le fossé des richesses s’aggrave, quoique, fort heureusement, on n’en soit pas arrivé au niveau alarmant de la Chine. C’est cela qui doit scandaliser et appeler des solutions, pas de crier au scandale parce que Zhang Lan ou Bernard Arnault ont acquis une nationalité étrangère ou souhaité s’installer ailleurs. Ne nous trompons pas de combat : cette jalousie et cette volonté de montrer du doigt et de vouloir rabaisser ceux qui sont en haut plutôt que de chercher des solutions pour élever ceux qui sont en bas est malsaine. Si ces personnes riches font ainsi, c’est sans doute qu’il y a des raisons qui les y poussent, et ce sont contre ces raisons que nous devons lutter.