La récente affaire Zhang Lan, la patronne de la célèbre chaîne de restaurants South Beauty, célèbres en Chine pour leur luxe, et dont on a appris qu'elle avait acquis une nationalité étrangère, a fait grand bruit en Chine, rappelant la désagréable surprise qu'avait déjà été le départ de la star de cinéma Gong Li, qui comme chacun le sait, a pris la nationalité singapourienne, au grand dam de beaucoup de ses fans, et à la colère de nombreuses autres personnes, pour qui abandonner la nationalité chinoise et partir à l'étranger relève plus de la trahison qu'autre chose. Toutes choses étant relatives, cette histoire m'a fortement rappelé la mésaventure récente de Bernard Arnault, le célèbre patron du plus célèbre encore groupe LVMH (qui possède entre autres Louis Vuitton) en France, quand il a évoqué l'idée d'acquérir une habitation en Belgique.
Sans aller jusqu'à utiliser un mot aussi fort, je comprends volontiers la fureur des Chinois qui se disent que tout de même c'est, pour le moins, indélicat et témoigne d'une certaine ingratitude envers un pays qui a permis à ces personnes de devenir riches et célèbres. C'est, convenons-en, et quoi qu'on pense de ce genre de décision, une drôle de façon de remercier la Chine… mais au-delà de Zhang Lan et de Gong Li, le problème est qu'il y a d'autres personnes, pas forcément célèbres mais riches, qui souhaitent quitter la Chine et s'installer à l'étranger, allant parfois même jusqu'à abandonner leur nationalité d'origine. Pire encore, des enquêtes montrent que parmi ceux qui restent, près de la moitié se disent désireux de suivre ce mouvement. Pourquoi ? Les raisons semblent multiples, mais il semble que les plus importantes soient le souhait de mener une vie plus saine et de proposer une meilleure éducation à leurs enfants ; il est vrai que l'extraordinaire développement de la Chine de ces trente dernières années, s'il a permis, à de nombreuses personnes en général mais à celles-là en particulier, de voir leur niveau de vie monter de manière spectaculaire et parfois même de s'enrichir considérablement, a eu également pour corollaire une profonde dégradation de l'environnement des conditions de vie, notamment la pollution qui devient parfois quasiment insupportable et les scandales alimentaires à répétition. Qui, ayant vécu ou vivant en Chine ne s'en est pas plaint ? Et même si l'argent permet à ces personnes de vivre bien plus confortablement que la plupart de leurs concitoyens, il ne leur permet pas d'échapper à ces problèmes.
Certains disent aussi ne plus supporter la corruption, problème majeur contre lequel lutte pourtant sans cesse le Gouvernement Central, mais ce n'est sans doute pas la raison majeure. Outre la pollution, l'insécurité alimentaire et un système éducatif jugé insuffisant, ce que ne supportent plus ces riches, c'est aussi la jalousie, qui va parfois jusqu'à la haine, de nombre de Chinois qui eux n'ont pas autant profité de la croissance, et qui sont souvent scandalisés par le comportement de voyous de certains de ces riches, qui sous prétexte qu'ils ont de l'argent, se croient tout permis, notamment d'être au-dessus des lois. Il est évident que ces personnes qui se comportent mal ne sont qu'une minorité parmi les riches, dont beaucoup ont acquis leur fortune grâce à un travail acharné et restent discrets, mais chaque fois que ce qu'on appelle en France des « blousons dorés » dérapent, c'est presque l'ensemble de la société chinoise qui jette l'opprobre sur tous les autres, même les plus innocents. Le fossé des richesses en Chine, dont le Coefficient de Gini –vous savez, ce célèbre indice qui sert à mesurer les inégalités d'une société- a déjà atteint, et même dépassé, le seuil d'alerte est passé par là, et il est fort à craindre qu'il soit presque trop tard pour pouvoir rétablir un équilibre salutaire.