Du Caire en Egypte au Cap en Afrique du Sud, de N'Djamena au Tchad à Djibouti, de Lagos au Nigeria à Mombassa au Kenya ou encore de Beira au Mozambique à Lobito au Congo, l'Afrique a initié depuis les indépendances un vaste programme de construction de routes dites transafricaines qui aujourd'hui cherche à s'accélérer au profit de l'intégration économique continentale.
D'après les estimations, les principales routes du réseau routier africain s'établissent à une longueur totale de 31.423 km auxquels s'ajoutent 45.832 km de voies de raccordement, représentant environ 90% des transports des passagers et des marchandises. Une très faible proportion (environ 28%) de ces routes est bitumée.
L'Association des gestionnaires et partenaires africains de la route (AGEPAR) qui s'est réunie du 16 au 19 avril à Yaoundé sous le thème « développement des routes transafricaines : état des lieux, stratégies et perspectives », estime que la densité de ce réseau routier est la plus faible au monde : 7 km pour 100 km2, contre 12 km en Amérique latine et 18 km en Asie.
Entrepris au lendemain des indépendances, notamment depuis la création en 1963 de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), ancêtre de l'Union africaine (UA) qui sera commémorée par un sommet spécial des dirigeants du continent en mai à Addis-Abeba en Ethiopie, ce chantier mobilise aujourd'hui pour son accélération afin de rattraper le retard causé par une évolution lente de son exécution.
CINQ PROJETS PRINCIPAUX EN COURS
Une des priorités du Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA) de l'UA, le réseau routier transafricain comprend neuf grandes sections : Le Caire-Dakar, Alger-Lagos, Tripoli-Windhoek, Le Caire-Gaborone, Dakar-N'Djamena, N'Djamena-Djibouti, Lagos-Dakar, Lagos-Mombasa et Beira-Lobito.
Une analyse publiée par l'AGEPAR révèle que 33% de ces routes sont non bitumés, 16% sont bitumés mais en mauvais état et seuls 38% sont bitumés et relativement en bon état.
Avec le concours de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), cinq projets principaux de corridors sont en cours d'exécution : la route transsaharienne qui côtoie la Méditerranée partant du Caire jusqu'à Dakar, la route transafricaine Mombasa-Lagos, la route transsahélienne Dakar- N'Djamena, la route côtière Lagos-Nouakchott et l'axe routier ouest-africain Le Caire-Gaborone.
« Globalement, on peut situer le taux de réalisation autour de 15% de routes qui restent, c'est-à-dire 85% de taux de réalisation. Mais ça dépend surtout des régions. Parce qu'en Afrique du Nord il leur reste seulement 1% à construire en ce qui concerne les routes transafricaines », a fait savoir dans un entretien à Xinhua Patrice Ngiema Essono, chef de file des délégués du Cameroun à l'AGEPAR.
En Afrique de l'Ouest, les progrès sont aussi notables, avec un taux de 9% de tronçons encore à construire. Ce résultat est à l'opposé de l'évolution du programme en Afrique centrale, région réputée la moins économiquement intégrée du continent, « où il nous reste encore 65%, ça veut dire que nous n'avons fait que 35% de travaux », note Ngiema Essono.
CHAQUE PAYS CONSTRUIT SES ROUTES
De l'avis de cet inspecteur général au ministère camerounais des Travaux publics, c'est chaque pays qui construit ses routes et les financements sont mobilisés en direction des pays. « Comme il y a des zones économiques et monétaires, on essaie de les (ces routes) regrouper pour parler des régions. Les régions interviennent soit pour donner une directive, soit pour donner une norme, soit pour mettre les pays ensemble pour une action commune ».
Pour la plupart des cas, les ressources locales ne sont pas toujours au rendez-vous, d'où le recours aux bailleurs de fonds internationaux, bilatéraux et multilatéraux, dont les financements sont octroyés soit sous forme de dons, soit sous forme de crédits à rembourser.
« Tel est par exemple le cas du Cameroun où, malgré le soutien des bailleurs de fonds, malgré l'engagement et malgré même les fonds propres que nous engageons et qui sont vraiment importants, nous n'avons pas encore pu franchir le cap des 35% au plan global en Afrique centrale », rapporte Ngiema Essono.
Pays d'Afrique centrale, le Cameroun est traversé dans toute sa longueur par la transafricaine Tripoli-Le Cap. « On entre par Kousséri et on sort par Ambam dans le Sud pour aller au Gabon ou alors par Mbalam pour aller au Congo. Il y a encore des tronçons dans le Grand-Nord qui ne sont pas encore construits. Tout comme il y a même des tronçons construits mais qui sont totalement dégradés et qu'il faut reconstruire », informe l'inspecteur général du ministère des Travaux publics.
Au partir de Mamfe au sud-ouest à la frontière avec le Nigeria, il est aussi concerné par la transafricaine Lagos-Mombassa, où un tronçon est déjà construit entre Batoua-Kakbe-Nouma, tandis que deux chaînons manquants sont recensés entre Ekok-Mamfe et Mamfe- Batoua Kakbe.
Au total, plus de 400 milliards de francs CFA (800 millions de dollars) sont en ce moment investis pour l'exécution des chantiers en cours dans le pays, révèle Patrice Ngiema Essono.
En Afrique de l'Ouest, en dépit de « cette guerre qui n'avait pas de sens » qu'elle connaît aujourd'hui suite au coup d'Etat de février 2012 du capitaine Amadou Sanogo contre le président Amadou Toumani Touré, le Mali se réjouit d'appartenir au réseau routier ouest-africain et d'être interconnecté à deux routes transafricaines : Dakar-N'Djamena et Lagos-Alger.
La première le relie au Sénégal à l'Ouest par Diboli et au Burkina Faso à l'Est par Here Makono, passant par Kayes, la capitale Bamako, Bougouni et Sikasso. « C'est un tronçon qui est complètement bitumé, mais il y a certains axes qui sont dégradés. C'est des reprises souvent en autoroutes ou en entretien périodique à renforcement », a décrit à Xinhua Cheick Oumar Diallo, directeur général du Laboratoire national des bâtiments et travaux publics du Mali.
AUTRES SOURCES DE FINANCEMENT EXPLOREES
Pour la deuxième transsaharienne, « il y a une branche qui vient au Mali à partir de la frontière algérienne, Tamanrasset, jusqu'à Bamako, qui fait une longueur d'à peu près 1.800 km. Le Mali a bitumé sur cet axe les deux tiers, jusqu'à Gao, qui font 1. 200 km », explique en outre Diallo pour qui, s'agissant du chaînon manquant, une évolution est envisagée avec la construction du barrage hydroélectrique de Taoussa qui prévoit le bitumage de 95 km du tronçon Gao-Bourem.
Inscrit au 10e Fonds européen de développement (FED), le projet Gao-Kidal s'étale sur 4.00 km. « Nous sommes à la recherche, mentionne Cheick Oumar Diallo, des financements pour la construction du dernier tronçon qui va de Kidal à la frontière Kiza Ouatem avec l'Algérie. L'étude a été réalisée depuis 2000 sur
financement algérien, mais il va falloir la réactualiser. L'évaluation initiale est d'environ 100 milliards de francs CFA ( 200 millions de dollars) ».
A l'exemple du projet de barrage de Taoussa financé par la Banque islamique de développement (BID), les financements mobilisés par le Mali proviennent généralement des fonds arabes. Mais, comme c'est déjà aussi le cas avec le FED, d'autres sources de financement sont explorées. C'est d'ailleurs l'action que l'UA elle-même mène pour la réalisation des ses mégaprojets du PIDA.
Depuis 2012, la Chine met à disposition 20 milliards de dollars en faveur des infrastructures en Afrique. Pour Patrice Ngiema Essono, « c'est une bonne nouvelle, nous sommes en quête de
financements. D'après l'analyse que nous venons de faire, nous sommes preneurs de tous genres de financements, parce que c'est devenu une urgence pour les pays africains d'assurer l'interconnexion (routière) et d'assurer la mobilité des peuples au niveau transfrontalier ».
Car selon lui, « mis à part cette construction des chaînons manquants, il faut également transformer ces routes en autoroutes. Puisqu'aujourd'hui on parle d'autoroutes, en réalité ce ne sont pas des autoroutes. Nos pays mériteraient d'être connectés par des autoroutes, c'est-à-dire des routes d'au moins deux fois deux voies. »