Entretien avec Patrick Brunot.
Patrick Brunot est professeur à l'Ecole des Hautes Etudes Internationales de Paris et avocat à la Cour d'Appel de Paris. Il est aussi conseiller du Commerce Extérieur de la France et se présente comme président de l'Association des Amitiés Franco-Chinoises de Paris.
Quotidien du Peuple en ligne : Percevez-vous quelques modifications dans les deux sessions de cette année par rapport aux années passées ? Quels sont des thèmes ou des sujets qui vous intéressent les plus ?
Patrick Brunot : Aucune personne qui s'intéresse quelque peu à la Chine ne peut ignorer les préoccupations des dirigeants chinois lors des sessions actuelles de l'APN et de la CCPPC.
Il est évident que certains thèmes sont permanents car ils font partie des objectifs du peuple chinois et de leurs dirigeants depuis plusieurs années déjà comme la protection de l'environnement contre la pollution ou la coopération régionale.
Désormais, la qualité du développement économique devient une préoccupation majeure, la transformation du capital dormant qu'est la propriété rurale en capital vivant devient un objectif prioritaire mais ce qui intéresse, à l'évidence les Occidentaux, ce sont les mesures concrètes qui seront prises pour institutionnaliser la lutte contre la corruption, les erreurs judiciaires et surtout les efforts qui seront entrepris pour protéger le peuple contre le « smog spirituel » en valorisant les bonnes traditions. Ce dernier objectif paraît prioritaire et les observateurs de la Chine ne manqueront pas de s'y intéresser dans les prochains mois car, en Chine, peut-être plus qu'ailleurs en raison du nombre, c'est de la valeur de l'individu que dépend la force du peuple.
Quotidien du Peuple en ligne : La « Nouvelle normalité » est un terme évoqué à nombre de fois en Chine et à l'étranger, comment voyez-vous ce terme en matière de l'économie chinoise ? Le ralentissement de la croissance, ainsi que la modification approfondie de la structure économique de la Chine, vont générer quel impact sur le plan global selon vous ?
Patrick Brunot : A plusieurs reprises, les dirigeants et les diplomates chinois évoquent dans leurs interventions publiques la « nouvelle normalité ».
En ce qui concerne l'économie chinoise, cela signifie certainement l'exigence d'une meilleure qualité du développement économique en permettant une amélioration des conditions de vie du monde du travail et en évitant tant que possible un ralentissement de l'économie résultant d'une baisse de la productivité.
Un tel comportement est un signe de puissance de la part des décideurs économiques car aller dans une telle direction exige non seulement une grande maitrise de l'économie à la recherche d'une croissance plus qualitative que quantitative mais encore une mise à jour des entreprises dont la rentabilité reste insatisfaisante.
Une telle politique économique n'est possible que si l'inflation est faible, l'innovation efficace, les exportations relativement dynamiques et un chômage peu élevé. Ce qui reste encore la caractéristique de l'économie chinoise.
Malgré certains « clignotants », apparus en 2014, accusant un ralentissement de l'économie, la consommation est restée à un bon niveau, les salaires et la protection sociale ont été améliorés. Les grandes lignes tracées par le XVIIIème Congrès de 2012 ont été largement suivies au cours de ces dernières années. La vitalité des bourses chinoises en constitue une excellente preuve même si l'intensité de la concurrence, notamment entre les grands groupes, n'a pas encore atteint le niveau optimal qui serait souhaitable mais l'investissement étranger offre d'intéressantes perspectives à cet égard.
Quotidien du Peuple en ligne : Le président Xi Jinping a évoqué les « quatre globaux » pour démontrer la détermination de la direction pour les objectifs principaux de la Chine. Parmi ces objectifs, l'Etat de droit et l'inspection disciplinaire du Parti ont été notamment mis en accent. On témoigne aussi de la chute récente de dizaine de haut-fonctionnaires (niveau ministériel). Selon vous, quelles sont des expériences et des leçons que la Chine pourrait emprunter de l'Occident dans le vaste domaine de l'anti-corruption ? Quelles sont vos préoccupations sur la promesse d'établir un Etat de droit en Chine ?
Patrick Brunot : Un système économique ne peut que se satisfaire de la lutte contre les « erreurs judiciaires », les corrompus et les fraudeurs qui participent au sabotage de l'Etat puisqu'ils contribuent par leurs fonctions prédatrices à priver le peuple du juste et équitable partage de la richesse collective.
Pour la première fois, de très hauts responsables politiques et économiques chinois ont été sanctionnés mais l'on est tout de même fondé à se demander comment de tels excès de la part de ces fonctionnaires restent possibles ?
Peut-être faudrait-il s'inspirer de certains modèles administratifs européens (notamment français) qui comportement des systèmes de contrôles permanents auprès de chaque ministère et rattachés directement au ministre en plus d'une instance de nature judiciaire, une « Cour des Comptes » dont la compétence est plus large que la Commission Centrale Chinoise d'Inspection et de Discipline du Parti puisqu'elle s'étend à tous les fonctionnaires sans exception dès lors qu'ils manipulent de l'argent public.
Il est également possible de mettre en place un numéro de téléphone que les citoyens puissent anonymement appeler les abus dont ils sont victimes de la part des fonctionnaires malhonnêtes.
Une telle politique ne peut qu'entraîner un renforcement de la légitimité du Parti Communiste Chinois et un meilleur fonctionnement général des rouages de l'économie.
Dans un proche avenir, la protection de la propriété intellectuelle, l'indépendance de la magistrature et la réduction des émissions carbones restent les trois impératifs que la Chine s'est donnée. Rien ne permet de douter de la détermination des chinois pour y parvenir ni du soutien de leurs amis français pour les y aider.