Par CHEN Weihua
Accepter ou refuser une invitation au dîner de la part de Chiang Kai-shek, tel est le dilemme pour trois professeurs d'université. Depuis mai 2012, une pièce de théâtre intitulée "L'honneur de Chiang Kai-shek" montée par un groupe d'étudiants de l'Université de Nanjing s'est transformée en véritable phénomène culturel en Chine.
Une intrigue fondée sur une anecdote
L'idée de la pièce provient d'une anecdote qui circule de génération en génération sur le campus de l'Université centrale de Chine (ancêtre de l'Université de Nanjing avant 1949) à Beijing : en 1943, lorsque le dictateur Chiang Kai-chek siégeait à la présidence de l'Université, il a décidé d'inviter certains professeurs réputés pour son dîner de réveillon. Aujourd'hui, personne ne sait plus si cette anecdote est authentique ou qui aurait accepté son invitation, ce qui autorise une libre interprétation de l'histoire avec une grande liberté pour l'écriture du script.
Début 2012, Wen Fangyi, une étudiante en 3e année âgée de 22 ans s'est lancée dans l'écriture du script. La jeune étudiante a choisi trois personnages typiques : Shi Rendao, un intellectuel plutôt de gauche, dont l'un des élèves a été battu à mort lors d'une manifestation selon les ordres de Chiang, voudrait refuser mais souhaite que Chiang l'aide à acheminer à Chongqing sa collection de livres anciens depuis une ville lointaine ; le deuxième professeur, Xia Xiaoshan, est un gastronome alléché par un plat figurant au menu, mais comme il n'accepte pas Chiang au poste de président de l'université, il préférerait que Chiang l'invite en tant que chef de gouvernement ; le troisième professeur, Bian Congzhou, est un partisan du gouvernement Chiang Kai-shek qui s'apprête se rendre au dîner et veut s'assurer de la présence de ses deux confrères afin d'éviter l'opprobre de leurs collègues.
Durant tout une après-midi, les trois professeurs se livrent à une discussion acharnée. Pour certains, accepter l'invitation de Chiang est synonyme de collaboration avec le pouvoir et d'un coup à l'honneur pour un intellectuel indépendant ; mais refuser l'invitation empêcherait l'un de récupérer ses livres et l'autre de goûter à des mets extraordinaires.
Vingt ans plus tard, en pleine Révolution culturelle, l'un des trois professeurs avoue avoir dîné avec le dictateur, tandis que les deux autres affirment l'avoir refusée. Le débat reprend. Impossible de déceler la vérité, mais ce qui demeure, c'est l'éternel dilemme pour tout intellectuel, quelle que soit l'époque : collaborer ou non avec le pouvoir.