Une bouée, abandonnée sur le fond craquelé du Lac McSwain désormais asséché. |
En temps normal, personne en Californie ne regarderait à deux reprises à la pelouse d'un voisin, ce tapis vert prospérant dans un désert écrasé de soleil. Pas plus que personne ne jetterait un regard méprisant sur un bosquet d'amandiers fraîchement planté, toutes choses pourtant accusées aujourd'hui de futurs crimes sur l'eau. On ne se demanderait pas non plus pourquoi votre voiture est si propre, ou si un poisson mérite de vivre alors qu'un cerisier est sur le point de mourir. Dans l'esprit de beaucoup de gens du monde entier, la Californie est bien cette province de rêve où les maisons de bois entourées d'une pelouse amoureusement entretenue, le long d'allées où sont garées des voitures impeccables. Mais cela pourrait bien n'être plus qu'un souvenir.
La quatrième année de grande sécheresse que connait aujourd'hui la Californie n'a rien de normal : selon les climatologues, elle pourrait même être la pire en 1200 ans. Pour tous les champs qui vont tomber en jachère, toutes les forêts qui seront dévorées par le feu, tous les puits qui seront asséchés, l'impact durable de cette sécheresse sera un triste souvenir qui restera longtemps, et ce pourrait même être une sorte de tournant. « Nous sommes engagés dans une expérience que personne n'a jamais tenté », a déclaré gouverneur Jerry Brown au début du mois d'avril, en ordonnant le premier rationnement de l'eau obligatoire pour les villes de tout l'État.
Certes, les près de 39 millions de personnes vivant sous le soleil toute l'année là-bas survivront, comme leur Etat. Il ne va pas disparaitre, et son économie en pleine reprise ne va pas vers un effondrement. Il n'y aura pas d'exode vers le Nord en cortèges de 4x4. La pluie et la neige finiront bien par retomber sur la sierra. Mais la Californie ne sera plus la même. Les Américains se souviennent du Dust Bowl des années 1930, causé par l'homme, après que les prairies des grandes plaines aient été arrachées, et que la terre se soit envolée dans le vent. Jamais elles n'ont complètement récupéré. La sécheresse d'aujourd'hui en Californie, est la plupart du temps due à la nature, et rétrécit cet Eden créé par l'homme. Ce qu'on appelle le Golden State peut récupérer, mais il ne sera plus jamais le même.
Quant à l'avenir, il y a aussi la sombre perspective que cette période de sécheresse est seulement le début d'une « mégasécheresse », aggravée par le changement climatique. La Californie ne dispose que seulement environ un an d'approvisionnement en eau dans ses réservoirs. Que faire si les interminables journées sans pluie finissent par devenir des années interminables ? L'idée que la Californie pourrait tout avoir -une piscine dans chaque jardin de banlieue, de nouvelles cultures adaptées à la sécheresse, du saumon sauvage dans les rivières désormais privées d'oxygène- se dissipe rapidement. Si la sécheresse continue, la Californie sera obligée de compter plus encore sur ce qui l'a longtemps soutenu –l'imagination. Et étant donné la situation, beaucoup d'imagination ne sera jamais trop.