Après une simple évocation à travers le thème « panafricanisme et renaissance » lors du récent sommet fin janvier, l'Union africaine (UA) entend commémorer avec faste en mai à Addis-Abeba les 50 ans de création de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), son ancêtre, occasion pour l'ex-dirigeant Edem Kodjo d'exhorter à plus de réalisme pour la vision d'unité africaine. Ex-secrétaire général de 1978 à 1983 de la défunte organisation continentale créée en 1963, le Togolais Edem Kodjo, par ailleurs ancien Premier ministre de son pays, est connu comme étant un leader politique africain moulé aux valeurs de rassemblement et d'unité inspirées par les pionniers de l'idéologie panafricaniste qu'il s'efforce de faire rayonner au sein des jeunes générations. « Le panafricanisme n'a pas commencé avec les pères fondateurs de l'OUA. Le panafricanisme a été un mouvement qui a pris racine d'abord aux Etats-Unis, avec les conférences panafricaines qui ont eu lieu à Londres et dans d'autres capitales européennes dès les années 1900. Les noms illustres, entre autres, de ce panafricanisme premier, c'est des gens comme Sylvester Williams, Dubois, Marcus Garvey et Price Mars, George Palmor plus récemment », a-t-il rappelé dans un entretien à Xinhua en marge du 20e sommet de l'UA fin janvier à Addis-Abeba. A l'origine, le mouvement se distinguait par « une connotation de rassemblement de ceux qui sont Africains, qu'ils soient les rejetons de ceux qui ont été déportés en Amérique ou qu'ils soient des Africains qui sont restés chez eux. Ce mouvement a été intégré par des hommes comme Kwame Nkrumah et d'autres leaders. Ils en ont fait quelque chose de plus politique ».
PANAFRICANISME POLITIQUE En Afrique, c'est donc un panafricanisme politique qui sera véhiculé par les pères fondateurs de l'OUA. D'après Edem Kodjo, il « consistait à faire en sorte que ce continent soit un continent où les gens qui ont été victimes des assauts de l'histoire se retrouvent dans un ensemble. Kwame Nkrumah voulait faire de cet ensemble un ensemble unitaire, qui rallierait tout le monde, du Cap au Caire, de Dakar à Nairobi. » Ainsi voit le jour le 25 mai 1963 à Addis-Abeba en Ethiopie, pays non colonisé, l'Organisation de l'unité africaine devenue en 2002 à Durban en Afrique du Sud Union africaine. « Les mêmes motifs soutiennent toujours les hommes d'aujourd'hui et j'estime que le panafricanisme doit reprendre un nouveau souffle », souligne l'ex-Premier ministre togolais, auteur de plusieurs ouvrages dont « Et demain l'Afrique » puis « Lettre ouverte à l'Afrique contemporaine ». Economiste de formation, c'est lors de ses études supérieures en France en pleine célébration des indépendances africaines que le jeune Edem Kodjo, né le 23 mai 1938 à Sokodé, vit pleinement le sentiment d'appartenance au grand ensemble rêvé par Kwame Nkrumah, bien avant même sa désignation au poste de secrétaire général de l'organisation continentale. « Lorsque nous étions étudiants, nous vivions ensemble. Nous étions de différents pays, mais nous nous connaissions tous, puisque nous étions partis de nos pays pour aller vivre une autre aventure dans un autre pays lointain. Nous nous sommes retrouvés dans des associations, du genre Féanf (Fédération des étudiants d'Afrique noire en France) », se remémore-t-il. Et il ajoute : « Cela nous a fait le plus grand bien et nous avons cultivé la flamme de l'amour du continent africain. Il fallait à tout pris sortir de l'ornière coloniale, ensuite il fallait poser à l'échelon international comme partie intégrante de cet ensemble international comme acteurs et non plus sujets des relations internationales. Nous avons eu cette chance, mais il faut maintenant qu'on communique cela aux plus jeunes ».
FONDEMENT DE L'HISTOIRE AFRICAINE Avant l'OUA, Edem Kodjo a été gouverneur du Fonds monétaire international (FMI), de 1967 à 1973, puis de la Banque africaine de développement (BAD) entre 1973 et 1976. Selon lui, « le panafricanisme est le fondement même de l'histoire africaine, parce qu'il faut que le continent trouve des voies et moyens pour s'unir davantage. La réalité se vit ; elle se vit d'une manière qui n'est peut-être pas très visible, mais qui est très concrète. »
« Par exemple, les communautés économiques régionales, les fameuses CERs qui se partagent l'aire du continent africain. Ces communautés économiques régionales jouent un rôle de rassemblement des Etats. Bien sûr que c'est insuffisant, bien sûr qu'il manque le saut qualitatif qui ferait de ces communautés économiques régionales des Etats fédéraux qui eux-mêmes trouveraient entre eux des modalités de coopération et peut-être d'union et de fusion », regrette-t-il toutefois. Il estime que « le panafricanisme a progressé, elle n'a pas pris la voie unitaire que Kwame Nkrumah souhaitait, que nous soutenions, nous les jeunes étudiants de l'époque, que nous avons continué à soutenir longtemps. Elle a pris d'autres voies, d'abord la voie un peu lâche de réunions périodiques, et la voie sectorielle qui est de définir des secteurs de coopération entre nos Etats, des voies qui conduisent à la réalisation de projets intégrateurs ». Parmi les exemples cités, figurent le grand complexe hydroélectrique d'Inga en République démocratique du Congo et les grandes voies transversales reliant d'un bout à l'autre du continent. « Ces projets existent et avancent, mais ce n'est pas le souffle qu'on aurait aimé voir conduire tout cela et nous amener à des réalités un peu moins douloureuses », juge Edem Kodjo. « Prenez le cas du Mali, enseigne-t-il. Imaginez une seule seconde qu'en Afrique de l'Ouest au lieu d'être quinze pays, on en soit qu'un, globalement parlant un Etat fédéral avec des Etats fédérés. Vous croyez qu'on aurait autant patiné ? Que pour trouver 3.000 hommes ou 5.000 hommes, ça aurait été aussi difficile ? » PLAN D'ACTION DE LAGOS Il professe alors que « si on ne peut pas décréter un Etat unitaire sur tout le continent africain du jour au lendemain, comme le voulait Kwame Nkrumah, on peut au moins trouver des voies qui permettent à l'Afrique d'être moins éparpillée, d'être plus positive et d'être plus efficace. C'est pour cela que ce que l'Union africaine veut faire pour les 50 ans de l'OUA, est une excellente affaire. Il faudrait saisir cette occasion pour nous livrer à une profonde réflexion, sur le pourquoi des tâtonnements, des hésitations, des atermoiements ». Au plan personnel, l'adoption de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples est une de ses initiatives lors de son passage au secrétariat général de l'OUA. Et aussi surtout le Plan d'action de Lagos et l'Acte final du sommet des chefs d'Etat de 1980 au Nigeria : c'est le point de départ des communautés économiques régionales. « En 1980, il n'y en avait réellement qu'une seule, c'était la CEDEAO. C'est après cet acte final que la CEEAC s'est constituée et j'ai pris personnellement une part active, que la SADC s'est restructurée, parce qu'elle était avant une organisation dominée par l'Afrique du Sud raciste et coloniale et que la vieille communauté que les Anglais avait conçue en Afrique australe et qui réunissait trois pays (l'Ouganda, la Tanzanie et le Kenya), a été revue pour constituer quelque chose qui aujourd'hui associe d'autres Etats », décrit-il. Edem Kodjo, aujourd'hui médiateur de l'UA dans des crises en Afrique après avoir pris officiellement sa retraite politique en 2009, se félicite de la création de l'Université panafricaine (UPA) , qu'il voit comme « un foyer ardent pour l'enseignement du panafricanisme ».