Alors que les différents rivaux politiques tunisiens sont enfin parvenus à trouver un terrain d'entente sur une nouvelle Constitution consensuelle, après trois ans de débats houleux et de crise politique, l'événement d'envergure mondial organisé vendredi pour célébrer l'adoption de cette Constitution n'a pas été apprécié localement faute d'organisation, du choix de la date ou encore de celui des pays invités.
Une date de célébration considérée comme malvenue
Pas moins de 40 délégations officielles ont mis le cap jeudi et vendredi 7 et 8 février sur Tunis pour célébrer avec les Tunisiens leur nouvelle Constitution, qui succède à la Constitution de 1959, adoptée après l'indépendance du pays.
Cette nouvelle Constitution a fait l'objet d'une admiration à l'international. Les chefs d'Etats, rois et hauts responsables arabes et occidentaux présents à la séance exceptionnelle de l'Assemblée constituante tunisienne en ont fait l'éloge.
Cependant, "personnellement, j'estime qu'une célébration dont le peuple est exclu est malvenue, d'autant que le pays est confronté à de graves problèmes financiers", a confié à Xinhua Ahmed Manaï, analyste tunisien, ancien expert international auprès de l'ONU et militant en faveur de la démocratisation de la Tunisie.
"Mais, elle (la célébration) a quand même eu lieu dans le climat que l'on connaît et ce n'est guère à l'avantage des organisateurs et encore moins de la Tunisie (...) je constate, comme d'autres, que le monde arabe a été sous-représenté lors de cet événement en raison de l'envoi tardif des invitations", a-t-il commenté.
D' après M. Manaï, "le choix de la date est malheureux car il coïncide avec la commémoration de l'assassinat du leader politique Chokri Belaïd et l'événement intervient à la veille de l'anniversaire du bombardement de Sakiet Sidi Youssef", un village dans le nord-ouest de la Tunisie, situé à proximité de la frontière avec l'Algérie, où le sang de nombreux tunisiens et algériens avait coulé lors d'une opération menée par l'armée française, dans le cadre de la guerre d'Algérie, en 1958.
"Les organisateurs auraient pu choisir une autre date symbolique, le 20 mars par exemple (jour de l'indépendance de la Tunisie), mais je crains qu'ils ne soient pas encore disposés à reconnaître un pan entier de l'histoire de leur pays et surtout que le pays a arraché son indépendance le 20 mars 1956".
Une crise diplomatique évitée de justesse en pleine cérémonie
Lors de la cérémonie officielle à l'Assemblée constituante tunisienne, le président du Parlement iranien Ali Larijani s'est attaqué aux Etats-Unis et à Israël, en les accusant d'"ingérence dans les affaires d'autres pays" et d'"être derrières de nombreux complots dans des régions du Moyen-Orient".
Peu après l'allocution du représentant iranien, la délégation américaine a quitté la cérémonie en raison des "fausses accusations et des commentaires inappropriés", a expliqué Washington par le biais de son ambassade à Tunis. "Ce qui devait être une cérémonie honorant la réalisation de la Tunisie a été utilisé par le représentant de l'Iran en tant que plate-forme pour dénoncer les Etats-Unis", a-t-on lu dans un communiqué de l'ambassade américaine.
Ce conflit a gâché les festivités, qui ont également été marquées par le retrait de certains membres de la délégation française conduite par François Hollande, qui a pour sa part annuler une conférence de presse conjointe avec son homologue tunisien Moncef Marzouki.
"L'intervention du président du Parlement iranien Ali Larijani a gâché la célébration de la nouvelle Constitution tunisienne ô combien attendue par les Tunisiens qui aspirent à rompre avec la dictature", a réagi le rédacteur en chef du site Internet d'actualités "Assabah news" (Matin news), Hafedh Ghribi.
Selon ce dernier, le président Marzouki aurait dû "réfléchir" avant d'inviter un représentant de l'Etat iranien "compte tenu du conflit existant entre l'Iran, l'Europe et les Etats-Unis". Il a également ajouté que M. Marzouki aurait pu faire en sorte que des pays comme l'Arabie Saoudite, l'Egypte et le Yémen, qui ont connu des révolutions équivalentes à celles de la Tunisie, soient présents à la cérémonie.
Cependant, "les Américains et les Français aiment donner des leçons au monde mais n'acceptent pas qu'on leur rappelle des petites vérités (...) En tout cas c'est un incident banal dans la vie diplomatique même s'il a dû beaucoup gêner les responsables tunisiens", a interprété Ahmed Manaï. "C'est un incident qui à mon avis n'aura aucune suite".
Un problème d'agenda et d'organisation
Bien que la présidence de la République tunisienne ait eu annoncé la célébration de la nouvelle Constitution plusieurs jours à l'avance, l'agenda relatif aux "déplacements" des différentes délégations officielles a été perturbé à maintes reprises faute de précision et de respect de l'emploi du temps.
Des observateurs présents à la cérémonie officielle ont nié toute relation possible entre l'intervention du responsable iranien et la réaction de la délégation française ou encore l'annulation de la conférence de presse conjointe Hollande-Marzouki.
Il s'agit plutôt d'un problème d'agenda et d'organisation. L'annulation de la conférence est vraisemblablement due à une incompatibilité d'agendas entre les deux présidents.
La cérémonie devait commencer à 10 heures et durer entre une heure et une heure 30. Elle devait être suivie d'un déjeuner, organisé à Carthage, au palais présidentiel. La conférence devait ensuite être tenue à 13 heures, et le vols retours des journalistes et du président étaient prévus à 16 heures.
Finalement, la cérémonie a commencé à 11 heures (GMT+1), soit avec une heure de retard, et a duré plus de trois heures.
Ainsi, M. Hollande, qui avait d'autres engagements et s'est vu obligé de quitter la Tunisie, et M. Marzouki, qui lui, ne pouvait pas laisser ses autres invités, ni partir avant la fin des discours, n'ont pas pu tenir la conférence de presse.
En dépit des prémices d'une crise diplomatique, la célébration de la nouvelle Constitution tunisienne a connu un succès politico-médiatique d'envergure mondiale, vu les rapports des médias et la couverture positive à grande échelle de l'événement.