Dernière mise à jour à 08h40 le 30/03
L'actuelle crise burundaise est conséquente d'un douloureux passé "non éclairé", estime Mgr Jean-Louis Nahimana, président de la Commission Vérité Réconciliation (CVR).
"Année après année, épreuve après épreuve, les réminiscences de ce passé non éclairé et les impunités qu'il couvre, ont affecté de manière sournoise, les perceptions, les attitudes et les comportements des millions de Burundais, acteurs politiques et citoyens ordinaires confondus", a précisé mardi à Bujumbura Mgr Nahimana au cours d'une interview accordée à Xinhua.
Le prélat burundais, qui s'exprimait en marge d'une journée de réflexion organisée par la CVR burundaise sur la place et le rôle des victimes des diverses crises cycliques violentes (1965, 1972, 1988 et 1993) dans le processus de justice de transition(JT) au Burundi, a fait remarquer que ce passé "mal éclairé", a largement contribué à l'instrumentalisation des jeunes.
Les jeunes Burundais, a-t-il précisé, ont certes été instrumentalisés comme victimes, mais aussi comme acteurs à cause de leur fragilité sur la connaissance de vérités sur les crises du passé.
Pour Mgr Nahimana, la nécessité de faire éclater rapidement la vérité sur les diverses tragédies sanglantes burundaises, milite pour un soutien immédiat aux travaux de la CVR, afin de contribuer au recouvrement d'une paix pérenne et à rompre avec les cycles de violences.
"Tant que la vérité sur les diverses crises burundaises auront été connues, les jeunes seront difficilement manipulables", a-t-il martelé.
Pour lui, la réussite de la mission assignée à la CVR burundaise, oblige celle-ci à approcher les différents protagonistes politiques sur l'actuelle crise afin d'aider au déblocage de l'actuelle impasse dans laquelle se trouve le dialogue politique inter-burundais.
Mgr Nahimana a demandé à ces protagonistes de revenir à la raison, de penser beaucoup plus à l'intérêt supérieur de la nation et d'éviter de s'enfermer dans leurs intérêts sectaires.
"Je peux me tromper certes, mais c'est mon constat, car, j'ai l'impression que nous sommes, au Burundi, dans une guéguerre pour les postes, si bien qu'on pense moins aux conditions du petit citoyen burundais. Avec une crise qui perdure, ce sont les petites gens qui en payent les pots cassés", a-t-il souligné.
C'est pourquoi, a-t-il insisté, la CVR est disposée à apporter sa pierre à l'édifice pour que les protagonistes de la nouvelle crise, s'engagent résolument pour de véritables pourparlers de paix.
"Toutefois, un dialogue efficace et inclusif au Burundi ne pourra atteindre de bons résultats pour une sortie de crise, qu'en présence d'une facilitation très forte et convaincue", a-t-il estimé.
Car, a-t-il insisté, ce qui manque aujourd'hui au Burundi pour débloquer l'actuelle impasse sur le dialogue inter-burundais, c'est la conviction dans les pourparlers de paix.
Pour le président de la CVR burundaise, la réussite du dialogue inter-burundais, sera conditionnée aussi à la définition d'un agenda "sérieux", mais pas celui qui s'arrête aux épiphénomènes de la crise.
Il faut plutôt penser, a-t-il suggéré, à discuter sur les conditions minimales qu'il faut, pour que le Burundi ne continue à rééditer tous les cinq ou dix ans, les mêmes crises.
Mgr Nahimana a indiqué également que l'aboutissement du dialogue inter-burundais, nécessite de vrais interlocuteurs.
"Il ne faudrait pas que certaines gens se mettent d'un côté, et que d'autres se mettent d'un autre côté, pour mener des monologues parallèles. Il faut que les Burundais acceptent de faire tous les concessions et les compromis qu'il faut, pour le salut du Burundi et non pour le salut individuel", a-t-il plaidé.
Selon Mgr Nahimana, l'impasse politique dans lequel se trouve le Burundi, constitue certes un environnement "difficile" pour les travaux de la CVR, mais pas "incompatible" avec le processus de justice de transition (JT).
Mgr Nahimana a tenu à souligner que la CVR burundaise est un mécanisme "non judiciaire" mis en place pour traiter une série de violations des droits de l'homme à caractère massif et récurrent depuis la date du recouvrement de l'indépendance (1er juillet 1962) au 31 décembre 2008, deadline des investigations de la commission.
Cette date, a-t-il expliqué, est considéré comme la fin de la belligérance armée au Burundi.
"Cependant pour des crimes en train d'être perpétrés aujourd'hui, je pense qu'ils devraient relever beaucoup plus du mécanisme judiciaire. Parce que la CVR burundaise est un mécanisme non judiciaire mis en place pour se pencher beaucoup plus sur des crimes commis au Burundi, au moment où les moyens de communication n'étaient pas aussi performants qu'ils sont aujourd'hui, et pendant que la justice internationale n'était pas encore développé", a-t-il fait remarquer.
Mgr Nahimana a tenu à rassurer que la CVR burundaise n'adhère pas à une vision de logique de la vengeance ou de courir derrière les auteurs des crimes pour les faire punir.
"Pas du tout. Nous, nous voulons plutôt étaler au grand jour, ce passé douloureux et amer, le regarder en face et inviter les générations actuelles à faire un sursaut de conscience et à rompre, à tout jamais, avec tous ces cycles de violences", a-t-il explicité.
Mgr Nahimana a révélé que la CVR a aussi le mandat de la réécriture de l'histoire du Burundi. La vérité recherchée par la CVR, a-t-il insisté, n'est pas seulement celle des victimes, mais aussi celle des bourreaux.
L'ultime objectif recherché ici, a-t-il expliqué, est que les bourreaux coopèrent pour la reconstitution des causes et des circonstances qui les ont poussées à commettre l'irréparable.
L'un des gros défis auxquels fait face la CVR burundaise, a fait remarquer Mgr Nahimana, est le cumul de beaucoup de traumatismes qui ont fini par façonner la manière de penser des Burundais.
"Il suffit d'écouter attentivement la plupart des Burundais lors des interventions publiques, pour découvrir combien ils portent, dans leur profonde intimité, les stigmates du passé, qui les empêchent à regarder la vérité avec lucidité", a-t-il expliqué.
Les membres de la CVR burundaise, en partenariat avec l'ONG américaine "American Friends Service Comitee"(AFSC), se sont déjà rendus en Afrique du Sud pour une visite d'échanges d'expériences avec la structure analogue sud-africaine mise en place à l'aube des années 1990, soit au lendemain de l'abolition du régime de "ségrégation raciale"(apartheid).