A l'occasion du cinquantenaire des relations diplomatiques entre la Chine et la France, le Musée national de Chine a inauguré une exposition rassemblant dix chefs-d'œuvre de la peinture française. Ces dix pièces maîtresses du Palais du Louvre, du Château de Versailles, du Centre Pompidou, du Musée d'Orsay et du Musée Picasso, qu'elles soient réalistes ou impressionnistes, nous permettent de découvrir l'histoire de l'art occidental.
Devant ces tableaux grandioses, nos pensées se tournent vers la France du 16e au 20e siècle, et la Chine de cette époque, alors engagée dans une réflexion profonde et constante pour trouver une voie de renouveau, s'invite dans nos esprits. Ainsi sommes-nous submergés par l'émotion et assaillis par mille sentiments.
Réalisé en 1530, le Portrait de François Ier , roi de France de Jean Clouet offre une image gracieuse et vivante du Roi Chevalier dans son habit somptueux, représenté dans toute sa noblesse et sa majesté. A l'intronisation de François Ier , le capitalisme commença à se développer, tandis que la Renaissance apparaissait et que le système de recherche scientifique venait d'être instauré. Considéré comme le premier roi de la Renaissance française, il fit construire le Palais du Louvre et le Château de Chambord et fit agrandir le Château de Fontainebleau.
A la même époque, la Chine, alors au milieu de la dynastie des Ming, voyait son autorité impériale ébranlée. L'Empereur chinois délaissait les affaires du pays, et les pouvoirs suprêmes tombèrent dans les mains du Premier ministre. A noter qu'au 16e siècle en Chine, la civilisation féodale était à son apogée, le pouvoir politique était absolu et l'économie prospère. Cependant, l'esprit novateur et entreprenant de la nation s'évanouissait peu à peu et la Chine commença à se replier, s'enfermer et s'immobiliser. Ainsi l'affaiblissement de la dynastie des Ming entraîna une évolution fondamentale des rapports de force entre la Chine et l'Occident.
Saint Joseph charpentier de Georges de La Tour, daté de 1642, présente une scène éclairée par une chandelle qu'un garçon (Jésus) tient pour son père (Saint Joseph) travaillant une pièce de bois en pleine nuit. Nous pouvons voir dans l'échange de regards entre ces deux personnages un amour tendre plus fort que les liens familiaux, confessionnels et culturels.
Portrait en pied de Louis XIV (1701) de Hyacinthe Rigaud met en avant un Roi Soleil qui se croit sans égal dans ce monde. Au 17e siècle, l'autocratie féodale connut son apogée en France, et les autorités religieuses se voulaient plus accessibles et plus populaires face au déclin de la religion. Dans ce contexte, Louis XIV, grand homme doté d'une vision stratégique, fit rayonner la France grâce à ses capacités de gouvernement et à ses exploits militaires. La France était alors le pays le plus puissant d'Europe, le français fut pendant deux siècles la langue diplomatique et celle de la haute société sur tout le continent européen, et l'Hexagone remplaça l'Italie pour devenir le centre européen des arts.
A la même époque en Orient, l'Empereur Kangxi, intronisé à un très jeune âge, connaissait également une immense renommée en raison de ses nombreux exploits, comme la répression de la rébellion des "trois feudataires", la guerre contre l'invasion de la Russie tsariste et le recouvrement de Taiwan. Ce fut également lui qui inaugura l'"âge d'or de Kangxi et Qianlong". Il y avait alors en Occident un engouement pour la Chine, dont témoignèrent les envoyés de Louis XIV auprès de Kangxi et une lettre privée que le Roi Soleil adressa à ce dernier.
Le Verrou, œuvre réalisée par Jean-Honoré Fragonard en 1777, illustre un thème éternel, celui de la conquête de l'amour. Par une grande maîtrise de la lumière et des couleurs, le peintre a su donner vie aux deux personnages et faire ressortir le désir d'amour dans toute sa sensualité. Dans la deuxième moitié du 18e siècle, le mouvement des Lumières suscita en France de vifs débats idéologiques et politiques. Une société militante et des bouleversements politiques conduisirent finalement à la Révolution française.
Au même moment en Chine, le règne de Qianlong touchait à sa fin. L'Empire du Milieu était empoisonné par des conflits interfractionnels, une armée impuissante, un Trésor public exsangue et des contradictions de classe exacerbées.
Le Bal du Moulin de la Galette et La Balançoire furent peints par Auguste Renoir en 1876. Dans la seconde moitié du 19e siècle, Paris se transforma en métropole dynamique. Qu'il s'agisse de grands boulevards, de hauts lieux de rencontre, de cafés ou de boîtes de nuit, rien n'échappa à la curiosité des peintres qui ont privilégié dans leurs oeuvres les moments de joie et les plaisirs de la vie.
La Chine était, à cette époque, plongée dans une profonde misère causée par la Seconde Guerre de l'Opium, la Guerre sino-japonaise de 1894 et l'invasion des Forces coalisées des huit puissances. La signature du Traité de Tianjin, du Traité de Beijing, du Traité de Shimonoseki et du Protocole de 1901, autant d'accords inégaux bradant l'honneur national et la souveraineté du pays, réduisit la Chine en société semi-féodale et semi-coloniale.
Dans la Lecture de la lettre (1921) de Pablo Picasso, deux hommes sont représentés assis côte à côte absorbés dans la lecture d'une lettre. Ce tableau est un témoignage de l'amitié entre le peintre et son ami poète Guillaume Apollinaire. La Composition aux trois figures (1932) de Fernand Léger met en avant la combinaison entre une échelle, une corde et trois femmes au regard froid.
Dans l'entre-deux-guerres, la France fut confrontée à des problèmes sociaux aigus, aggravés par l'exacerbation des contradictions du capitalisme et la grande dépression. La population française manquait alors de confiance dans son avenir.
En Chine, entre 1921, date de la fondation du Parti communiste chinois et 1931, année de l'incident du 18 septembre, la nation s'enlisait dans des difficultés tant intérieures qu'extérieures. Durant ces années hors du commun, d'innombrables Chinois patriotes, perplexes ou décidés, rongés par l'amertume ou emportés par la colère, consacrèrent leur vie au salut et à la sauvegarde de la patrie.
La peinture que Pierre Soulages réalisa en 1956, un des chefs-d'œuvre de l'art abstrait, est composée d'épaisses lignes noires croisées, donnant l'impression d'être débarrassée de toute signification, symbolisation et sensation.
Dans son tableau Le Matador (1970), Pablo Picasso s'affranchit des règles dominant depuis cinq siècles dans la peinture et la sculpture. Il décomposa et recomposa le visage et le corps du personnage au gré de ses humeurs, préférences et sentiments.
Alors dans la période des "Trente Glorieuses" (1946-1975), la France est engagée sur une voie de redressement économique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui lui permit de devenir la 5e économie du monde et l'un des pays fondateurs du G7. La croissance rapide stimula une expression artistique plus libre et plus expansive.
Pendant la même période, du Grand Bond en avant à la Révolution culturelle, la Chine suivit un parcours mouvementé et incertain, et son peuple, victime de la famine et des troubles internes, aspirait à un développement économique et à une vie heureuse.
Nous ne pouvons jamais isoler une œuvre d'art du contexte social où elle a été créée, car elle constitue une expression de la compréhension et de la perception de la réalité et un témoignage de la longue marche de la civilisation humaine. Les gloires et les misères qu'ont connues les œuvres et leurs époques s'entrecroisent tout au long de l'histoire.
Le moment de délectation qu'offre cette exposition d'art franco-chinoise nous permet de passer également en revue, à travers un regard rétrospectif sur quatre siècles de développement en Occident, le parcours historique de la nation chinoise, marqué par la gloire, l'humiliation, la résistance et enfin le renouveau. Aujourd'hui, les Chinois éprouvés par la misère sont en train de réaliser leur rêve, aussi sereins que confiants.