Dernière mise à jour à 15h48 le 08/06
Pourquoi « toujours sous un autre angle » ? Simplement parce qu'en 2014, je titrais un article « Hong Kong sous un autre angle » où je notais que notre vision occidentale nous empêchait de mesurer la situation correctement. Comment dépasser cet empêchement ? Comment changer notre vision ? Pour la changer, il faut regarder l'histoire… et en dessiner en creux ses conséquences sur le présent. Dans cet article un peu long, j'en conviens (mais je laisse à chacun le soin de lire les parties comme il le souhaite) il s'agit de revenir sur l'histoire de ce territoire. Nous parlons beaucoup de Hong Kong mais qu'en savons-nous au juste ? Avons-nous pris le temps de considérer sa situation autrement ?
Hong Kong (香港, littéralement « port aux parfums » ou « port parfumé ») se situe dans le sud-est de la Chine, sur la rive orientale de la Rivière des Perles. Précisons que la Rivière des Perles naît de la jonction de deux fleuves, le Xi Jiang (西江, fleuve de l'ouest) et le Bei Jiang (北江, fleuve du Nord). Au-delà de l'anecdote géographique, il est probable que cette image de jonction a inspiré la réflexion autour de la notion « un pays deux systèmes ». Aujourd'hui, elle compte sept millions d'habitants. Pour vous donner un ordre de grandeur, Paris compte trois fois moins d'habitants (2,5 millions environ).
Tandis que la Grande Bretagne est fortement affaiblie par la Guerre des Malouines (Falklands War) de 1982, la Chine négocie la rétrocession de Hong Kong. Margaret Thatcher rencontre, en septembre 1982, Deng Xiaoping. Les discussions sont houleuses, la Chine cherche à s'émanciper de toute pression tutélaire. En 1984 est signée la « déclaration conjointe du gouvernement de la république populaire de Chine et du gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord sur la question de Hong Kong».
Aux yeux de la Chine, Hong Kong dans son ensemble devait être rendu car ce territoire, comme d'autres avaient été acquis par des traités inégaux. Ces traités inégaux recouvrent tout ce qui a été acquis par les puissances étrangères lors du siècle d'humiliation qui recouvre la période (évoquée précédemment) d'intervention et d'impérialisme par les puissances occidentales et le Japon en Chine entre 1839 et 1949. En d'autres termes, il s'agit d'en finir avec une vision unique du monde.
Cet accord de 1984 prévoit la rétrocession pour le 1er juillet 1997. Il précise également que Hong Kong devra conserver de 1997 à 2047 un certain degré d'autonomie en vertu du principe « Un pays, deux systèmes ». L'Assemblée populaire nationale chinoise adopte en ce sens en 1990 une Loi fondamentale garantissant à Hong Kong la conservation de sa monnaie, de son administration et de son système judiciaire.
D'un point de vue linguistique l'expression « deux systèmes » signifie que deux systèmes coexistent au même endroit, au même moment. Comment en un même lieu, en une même place faire coïncider deux systèmes (économique, social, etc.) si différents ? C'est un pari historique plus que risqué. D'un point de vue global, c'est très intéressant. Appliquer un double système, c'est chercher à ne garder que le meilleur de chacun des systèmes, devenus des sous-systèmes de ce nouveau système. Cet entre-deux est unique. Il fait progresser un nouveau système qui se nourrit des avancées de ces deux sous-systèmes : le capitalisme et le socialisme. Il convient donc de voir comment, dans le futur, la fusion de ces deux systèmes serait possible pour le bien commun de l'ensemble de la population chinoise.
Mais si nous prenons l'effet sur les esprits de chaque citoyen, nous pouvons y lire très vite les failles. Deux systèmes signifient alors que chacun, en fonction de sa propre expérience, de sa propre histoire (donc de ses frustrations), va espérer selon un des systèmes. Peu à peu, de génération en génération, se transmet une forme d'idéalisme doublée d'une fantasmagorie qui est propre à chaque citoyen. Comment dès lors accepter une situation contractuelle établi des années en arrière ?
Selon l'article 31 de la Constitution de la République populaire de Chine « L'État établit, en cas de besoin, des régions administratives spéciales ; les systèmes à appliquer dans ces régions administratives spéciales sont déterminés sous forme de loi, selon la situation concrète, par l'Assemblée populaire nationale ». Il faudra attendre début de l'année 1983 pour que le gouvernement chinois formule douze points fondamentaux qui régissent Hong Kong.
Ce jeudi 28 mai 2020, l'Assemblée populaire nationale devait voter une loi pour « sauvegarder la sécurité nationale dans la région administrative spéciale de Hong Kong » qui a pour principes de bases : la protection de la sécurité nationale, maintenir et améliorer « Un pays, deux systèmes », gouverner Hong Kong selon la loi, s'opposer aux ingérences internationales, protéger les droits et les intérêts légitimes des résidents de Hong Kong. Cette loi soulève des craintes quant à des modifications de la loi fondamentale. Mais justement d'où vient cette crainte ? Est-elle justifiée ? Nous devons nous demander ici si le prisme médiatique occidental qui répète en boucle cette crainte est justifiée ou non ? Ou s'il masque un jeu d'influence ?
Le journaliste Frédéric Lemaître justifie cette crainte en soulevant l'article n°6 qui vise « à prévenir, stopper ou punir toute conduite qui met sérieusement en danger la sécurité nationale, telle que le séparatisme, la subversion du pouvoir d'État, ou l'organisation ou l'exécution d'activités terroristes aussi bien que des activités des forces étrangères et menées de l'étranger qui interfèrent dans les affaires de Hongkong ».
Il est intéressant de voir qu'il juxtapose cet article de façon immédiate au précédent de 2003 qui prévoyait l'adoption, par les autorités de la région administrative spéciale, d'une législation permettant d'interdire « tout acte de trahison, sécession, sédition et subversion ». Mais ce que ne dit pas Frédéric Lemaître c'est le financement du mouvement « Occupy Central », un mouvement dit étudiant et spontané mais dont les fonds proviennent de la part de la NED19.
Cette collusion a déjà été soulevée par Tony Cartalucci dans un article en 2014 dans lequel il soulève les liens entre cette fondation et des entreprises. Il y note également que le système de propagande américaine dessert les intérêts de sa propre population. Wei Xinyan et Zhong Weiping démontrent dans un article que la NED a des implications dans le recrutement dans certains médias dont le South China Morning Post et la Hong Kong Free Press, qui organisent les manifestations contre la loi de l'extradition.
Hong Kong est devenue en 2019, la troisième place financière du monde (et elle talonne de près Londres pour la seconde place). Nous pouvons mesurer le parcours historique de ce petit port de pêche à la ville moderne, place financière mondiale incontournable. Une ville-monde en quelque sorte. Mais cette ville-monde n'en demeure pas moins toujours un port d'entrée vers la Chine intérieure. Par l'adoption de cette loi, Beijing réaffirme que Hong Kong est un territoire chinois et, comme tel, il est régi non pas par les multinationales occidentales ou leurs fondations mais bien par le gouvernement chinois. À nouveau, Hong Kong retrouve cette position historique de charnière, de lieu où se rencontrent deux visions du monde. Deux systèmes, certes, mais bien un pays. Et ce pays a été, est et sera la Chine.
Hong Kong, animé par une jeunesse dont la mémoire ne va pas chercher ses racines dans les faits historiques mais davantage dans des storytelling ne peut vivre cela que comme un déchirement, une incompréhension. Mais cette jeunesse n'est pas Hong Kong dans son ensemble. Hong Kong, ce doux port parfumé, tend à l'Occident un miroir. Au lieu de se complaire dans une image, nous devrions prendre le temps de regarder avec acuité le nouveau monde qui se dessine. Hong Kong symbole de la fin d'une domination occidentale sans partage. La seule question qu'il convient de se poser maintenant est : l'occident se résoudra-t-il à laisser émerger un monde multipolaire où les responsabilités sont mises en commun ?
(L'auteur Sonia Bressler est écrivain français, experte en matière des problèmes chinois)