(ANALYSE) Par Claudine Girode
Après le report du vote, mardi, à Strasbourg, par le président du Parlement européen (PE) sur la résolution concernant le "Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement" - plus connu sous l'acronyme TTIP - le PE, mercredi, a ajourné les débats qui devaient avoir lieu ce matin. Une décision survenue à l'issue d'une demi-heure d'une séance houleuse. Ce nouveau coup de théâtre illustre la contestation grandissante et les divisions croissantes au sein de l'Union européenne (UE) en matière de politique commerciale.
Le projet de TTIP, s'il était signé, serait le plus grand accord commercial du monde, touchant près de 60% de la production économique du globe et un énorme marché de 850 millions de consommateurs. C'est la Commission européenne qui mène les négociations mais le PE doit arrêter une position sur le sujet, tout comme le Congrès américain doit décider de donner ou non les pouvoirs au président Barack Obama d'engager une procédure accélérée pour négocier les accords commerciaux. En cas d'accord avec Washington, le PE aura le pouvoir de rejeter l'accord, comme il l'a fait en 2012 avec l'Acta, un précédent accord commercial avec les Etats-Unis, le Canada et d'autres pays.
Le PE a décidé mercredi par 183 voix pour, 181 contre et 37 abstentions de reporter les débats sur le projet de résolution élaboré par le député social-démocrate allemand Bernd Lange, rapporteur auprès de la Commission du commerce international du PE. Cette résolution avait pourtant recueilli 28 voix pour et 13 voix contre au sein de cette commission. Elle visait à définir les "lignes rouges" que ne devront pas franchir les négociateurs pour recevoir l'aval du PE.
Contre toute attente, le président du PE, Martin Schultz, avait invoqué mardi l'article 175 du Règlement du PE pour renvoyer le vote prévu mercredi. Selon cet article, un texte peut être reporté lorsque plus de cinquante amendements sont déposés à l'approche du vote en séance plénière. Les parlementaires qui ont préparé la résolution ont en effet reçu plus de 200 propositions d'amendements, compromettant sérieusement ses chances d'être adoptée. L'ensemble du texte est donc renvoyé à la Commission du commerce international du PE qui se réunira les 15 et 16 juin à Bruxelles.
Au cœur de la discorde qui déchire le PE se trouve la procédure d'arbitrage, dite ISDS. Des eurodéputés craignent que ce mécanisme permette à des multinationales de remettre en cause des politiques publiques des Etats devant des instances privées et permette à des multinationales américaines de contester les lois nationales dans l'UE au nom du libre-échange. Pour tenter de contrer les critiques, la commissaire européenne au Commerce Cecilia Malmström, en charge des négociations transatlantiques, avait déjà proposé que ces litiges soient tranchés par un tribunal public permanent. Une proposition qui n'a manifestement pas suffi.
Si le PPE (droite) s'accordait pour exiger une réforme de cette procédure d'arbitrage, de nombreux députés conservateurs, critiquant la "nouvelle posture" des socialistes, n'étaient pas prêts à accepter leur amendement. Le groupe S&D avait déposé la semaine dernière un nouvel amendement demandant l'exclusion de ce mécanisme d'arbitrage. "Les tribunaux d'arbitrage privés sont morts, mais cela doit être dit clairement", a affirmé mardi le député allemand Bernd Lange pour justifier l'amendement socialiste.
"On ne tue pas du tout l'ISDS, c'est simplement une resucée", s'est insurgé de son côté le co-président des Verts Philippe Lamberts qui a accusé les socialistes de ne se ranger dans le rang des opposants qu'après les nombreuses mobilisations citoyennes contre le TTIP. Depuis de nombreux mois, en effet, la société civile, le monde associatif, les écologistes et une partie de la gauche européenne manifestent leur rejet du TTIP.
Lors d'une conférence de presse, mercredi, le rapporteur socialiste Bernd Lange a souhaité ''clarifier la situation''. ''Nous ne voulons pas d'arbitrage privé. C'est quelque chose qui remonte au 19e siècle, cela n'est plus de notre époque. Or, le PPE souhaite le réintroduire par la petite porte. Bon nombre de compromis sont possibles mais pas sur la question de l'arbitrage privé", a-t-il déclaré. ''Si le Parlement n'était pas en mesure de voter, ce serait catastrophique'', a-t-il ajouté.
La gauche européenne était loin jusqu'ici d'afficher une complète unité sur la question du TTIP. "C'est la panique au Parlement", a d'ailleurs ironisé mardi l'eurodéputé écologiste français Yannick Jadot pour qui l'initiative de Martin Schulz relève de la "crapulerie politique" et est motivée par le fait que le président du PE ne pouvait "plus garantir à Juncker et à Angela Merkel un vote favorable" au TTIP de la part du Parlement.
Au-delà des divisons internes aux partis de l'hémicycle du PE, on observe une fracture au sein des pays membres de l'UE. Roumains, Italiens, Espagnols, une partie des Allemands sont très favorables au TTIP tandis qu'une partie des Français, des Allemands et des Britanniques y sont largement opposés.
Dans sa conduite des négociations, la Commission européenne met en avant sa volonté de stimuler le commerce, la croissance et la création d'emplois, aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis. Ce n'est qu'en novembre 2014 que Bruxelles a rendu public le mandat des négociations, officiellement lancées en juillet 2013. Une procédure qui lui a valu de sévères critiques quant au respect de la transparence du processus de négociations.