La législation britannique sur la surveillance massive des citoyens et des organisations non-gouvernementales (ONG) est la cible de nombreuses critiques ces derniers jours.
Suite aux révélations du "Guardian" affirmant que le GCHQ, équivalent britannique de la NSA américaine, avait espionné des organisations de défense des droits de l'Homme, dont Amnesty International, Liberty et Privacy International, Amnesty a écrit une lettre au Premier ministre britannique, David Cameron, exigeant une enquête indépendante.
Cette surveillance a été déclarée illégale par l'Investigatory Powers Tribunal (IPT), un organe judiciaire indépendant qui traite les plaintes pour abus de pouvoir en matière de surveillance par les organismes publics, y compris les services de sécurité.
L'IPT a ainsi constaté une violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH), car les communications d'Amnesty interceptées par le GCHQ ont été stockées sur une période plus longue que prévue par les protocoles des services secrets.
Le 14 juillet, le députe néerlandais Pieter Omtzigt, rapporteur de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) sur les opérations de surveillance massive, s'est joint à l'appel lancé par Amnesty International pour l'ouverture d'une enquête indépendante.
"Amnesty International ou toute autre grande organisation de défense des droits de l'Homme ne peut constituer en aucun cas une menace terroriste pour la sécurité nationale, ce qui est le prétexte avancé par la NSA et ses alliés pour justifier la surveillance massive d'innocents dans le monde entier", a-t-il dit.
"Ces organisations mènent une action qui est essentielle pour le fonctionnement de la démocratie dans nos pays et leurs interlocuteurs, qui sont fréquemment victimes de graves violations des droits de l'Homme, sont particulièrement vulnérables", a déploré M. Omtzigt.
En avril 2015, l'APCE a adopté un rapport de M. Omtzigt condamnant les pratiques de surveillance massive révélées par l'ancien consultant de la NSA Edward Snowden et a appelé à un "Code du renseignement" interdisant notamment la surveillance massive non ciblée et l'espionnage entre alliés.
Le Premier ministre David Cameron "doit expliquer pourquoi le gouvernement du Royaume-Uni a soumis les organisations de défense des droits de l'Homme, respectueuses des lois, à la surveillance", a dénoncé Salil Shetty, secrétaire général d'Amnesty International. "Cette révélation montre clairement que la surveillance massive va trop loin. Nous devons enfin avoir des contrôles appropriés".
Kate Allen, directrice d'Amnesty au Royaume-Uni, a ajouté qu'il "est absolument scandaleux que la correspondance privée d'Amnesty International ait été jugée comme une cible intéressante par les espions britanniques, qui ont clairement perdu tout sens de mesure et de pertinence. Une mesure clé d'une société libre est de savoir comment elle traite ses organismes de bienfaisance et les ONG. Si Amnesty International est épié, qui ne l'est pas?", a-t-elle commenté.
Il semble que les lois régissant la surveillance n'aient pas suivi l'évolution technologique. Un rapport publié la semaine dernière par le Royal United Services Institute (RUSI), un groupe de réflexion, a mis en évidence les principales lacunes du système de supervision et a appelé à un "nouveau cadre juridique clair et compétent".
Les auteurs du rapport, dont trois anciens chefs des services secrets britanniques, ont fait ressortir des lacunes existantes dans le régime de surveillance en expliquant que la surveillance actuelle "ne vérifie pas le protocole (qui sous-tend les capacités d'interception du GCHQ) et n'a pas la capacité à le faire".
Eric King, directeur adjoint de Privacy International, a estimé que "chaque jour, le GCHQ trouve de nouvelles techniques d'écoute, alors que notre régime de supervision tente de combler ces lacunes".
Vendredi dernier, la Cour suprême du Royaume-Uni a jugé que les mesures d'urgence prises par le Parlement l'an dernier sur les écoutes étaient illégales et a donné au gouvernement neuf mois pour présenter une nouvelle législation sur la surveillance.
La Cour a donné raison à deux députés et à des militants en déclarant que les pouvoirs qui contraignent les entreprises de télécommunications à conserver les données des clients pendant un an étaient incompatibles avec les lois de l'Union européenne.
À l'époque, M. Cameron avait réclamé des mesures indispensables pour protéger le pays contre la menace posée par l'Etat islamique et les Britanniques qui étaient partis en Irak et en Syrie pour rejoindre l'Etat islamique.
Mais ce dernier débat sur la surveillance pourrait également avoir d'importantes ramifications politiques. Les députés eurosceptiques du Parti conservateur pourraient l'utiliser comme un autre exemple d'ingérence européenne dans la politique nationale, attisant encore plus le ressentiment anti-UE.
Le gouvernement britannique s'est engagé à tenir un référendum sur l'adhésion à l'Union européenne avant la fin de 2017.
Il prévoit également de mettre en avant un projet de loi portant sur les droits de l'Homme qui pourrait rompre le lien formel entre les tribunaux britanniques et la Cour européenne des droits de l'Homme. Les arrêts de la Cour siégeant à Strasbourg deviendraient, en effet, consultatifs et la Cour suprême du Royaume-Uni aurait le dernier mot en matière de droits de l'Homme.