Dernière mise à jour à 08h27 le 26/02
Comme de nombreux autres jours d'hiver en Grande-Bretagne, Manchester connaît ce jour-là une bruine verglaçante et parfois de fortes rafales de vent. Mais ça ne décourage nullement les visiteurs de la bibliothèque de Chetham, l'une des plus anciennes bibliothèques publiques du monde anglophone.
Le bâtiment en grès, construit en 1653, est devenu une attraction touristique grâce à sa collection de quelque 200.000 livres, manuscrits et archives. Mais ce qui impressionne le plus les visiteurs, c'est une table en chêne tachée dans une alcôve de la salle de lecture: la table de Karl Marx.
Fergus Wilde, un bibliothécaire de 56 ans, est probablement le visiteur le plus assidu de cette salle de lecture. Ayant travaillé dans la bibliothèque pendant vingt ans, il a pris l'habitude de s'asseoir à cette table presque tous les jours pour étudier la pensée de Marx.
"C'est un privilège quotidien", dit M. Wilde. "Je me suis de plus en plus intéressé au fil des ans à l'histoire de Marx et sa pensée", confie-t-il à Xinhua à l'occasion du 170e anniversaire de la publication du "Manifeste du Parti communiste", co-écrit avec Friedrich Engels.
"Je pense qu'il y a une 'renaissance' de l'intérêt public dans l'analyse de Marx non seulement en raison de son influence sur l'histoire, mais aussi des temps présents", estime-t-il. Il observe que la critique sociale de Marx a connu ce renouveau à la suite de la crise financière mondiale de 2008, qui a été essentiellement déclenchée par la cupidité capitaliste et une résurgence du néolibéralisme.
"Notre économie a toujours connu des crises. Il a été démontré de façon convaincante au cours des 30 dernières années que l'écart entre les riches et les pauvres s'est accru, mais aussi entre les pays riches et les pays pauvres. Il fallait que certaines questions soient posées tôt ou tard", selon Fergus Wilde.
"Même si vous considérez que le monde capitaliste a produit d'abondantes richesses, il faut se poser la question : ces richesses peuvent-elles être justifiées et partagées équitablement?".
La bibliothèque de Chetham était l'endroit où Marx et son ami Engels se rencontraient et étudiaient fréquemment au cours de l'été 1845, un an après leur rencontre à Paris. Pendant cette période, Engels habitait à Manchester, travaillant pour la filature de coton de son père, alors que Marx, qui habitait à Londres, se rendait fréquemment dans cette ville du nord-ouest de l'Angleterre.
Les recherches qu'ils ont menées lors de leurs passages à la bibliothèque ont joué un rôle "crucial" dans la formation de leurs théories, débouchant sur "Le manifeste du Parti communiste", qui a été publié fin février 1848.
Cette bibliothèque a eu un "impact d'une importance disproportionnée" sur les travaux de Marx et Engels, assure M. Wilde, ajoutant que les deux philosophes allemands ont étudié les moyens de production capitalistes en utilisant l'entreprise familiale d'Engels comme cas d'étude. C'est à cette époque que Friedrich Engels a écrit son livre historique "La situation de la classe ouvrière en Angleterre en 1844", paru l'année suivante en allemand.
Visiblement, la bibliothèque de Chetham a été une grande source d'inspiration pour ces deux amis.
Dans une lettre à Marx écrite plusieurs années plus tard, en 1870, Engels écrit: "Ces derniers jours, j'ai de nouveau passé beaucoup de temps assis à la table rectangulaire dans l'alcôve où nous nous sommes assis il y a vingt-quatre ans. J'aime beaucoup ce lieu. Le vitrail fait en sorte que le temps soit toujours beau par ici".
Mis à part les vitraux, endommagés par une tempête à l'hiver 1875 et remplacés par du verre ordinaire, la table et l'alcôve sont demeurés presque inchangés.
Les livres originaux que Karl Marx lisait à l'époque peuvent encore être trouvés sur les étagères de la bibliothèque, tels que "L'état des pauvres" de Frederick Morten Eden et "Enquête sur les devoirs des hommes des classes supérieures et des classes moyennes de la société en Grande-Bretagne" de Thomas Gisborne, parus tous deux en 1795.
Les visiteurs, tous comme M. Wilde, peuvent s'asseoir à la table et réfléchir aux problèmes que les deux grands penseurs ont peut-être soulevés voici 170 ans.
Byron Tyrer est un guide bénévole à la bibliothèque après avoir pris sa retraite il y a six mois. "Nous vivons dans une époque particulière et l'intérêt pour l'analyse de Marx et pour cette bibliothèque croît", assure-t-il en précisant que "certains visiteurs ont parcouru la moitié du monde pour venir ici".
Chloë Maria, une visiteuse française, s'est arrêtée devant la célèbre table pendant un certain temps, y feuilletant attentivement des exemplaires des livres lus par Marx et Engels.
"Rien que de les imaginer assis ici est juste incroyable", confie-t-elle. "De toute évidence, il y a quelque chose qui ne va pas dans notre société et nous devons trouver des réponses".