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Le Canada touché à son tour par les « gilets jaunes » : une crise d'identité de l'Occident ?

le Quotidien du Peuple en ligne | 21.12.2018 17h06

Alors que Paris ne s'est pas encore tout à fait remise des plus graves émeutes de ces cinquante dernières années, les manifestations de « gilets jaunes » ont progressivement traversé l'océan Atlantique. Au cours du week-end dernier, diverses villes du Canada, comme Ottawa, Calgary et Vancouver, ont été surprises par des rassemblements de personnes vêtues de vestes fluorescentes qui se sont rassemblées contre les politiques libérales du gouvernement de Justin Trudeau en matière d'immigration et de gouvernance climatique. Et les manifestants ont annoncé qu'ils vont à nouveau descendre dans la rue ce samedi.

Pourquoi protestent-ils ?

Un groupe d'environ 750 000 Canadiens a déclaré sur une page Facebook qu'ils s'oppose à « la taxe sur le carbone et la trahison des politiciens de notre pays qui ont l'audace de vendre la souveraineté de notre pays à l'ONU et à ses politiques tyranniques ».

Ils ne croient pas qu'une hausse de la taxe sur le carbone au détriment de leurs moyens de subsistance puisse atténuer les effets du changement climatique, et ils ne sont pas non plus d'accord pour dire que le projet de loi anti-oléoduc favorisera un environnement propre.

En Alberta, qui a prospéré grâce au boom du pétrole brut de Fort McMurray, les manifestants se sont opposés au projet de loi C-69 promulgué par le gouvernement canadien visant à prolonger les examens dans le cadre de projets énergétiques de grande envergure. Le projet de loi a aussi repoussé la construction d'un oléoduc, exacerbant ainsi la situation critique des prix bas du pétrole qui ont lourdement pesé sur l'économie locale ces dernières années.

En outre, ils s'opposent au programme d'immigration généreux de Justin Trudeau qui, estiment-ils, risque de conduire à la destruction du Canada en tant que nation. Le gouvernement fédéral a récemment signé un accord sur la migration des Nations Unies, officiellement appelé « Pacte mondial des Nations Unies sur les migrations sûres, ordonnées et régulières ». Ce protocole non juridiquement contraignant définit 23 objectifs pour une migration sûre, ordonnée, efficace et humaine, des réfugiés et des migrants aux travailleurs qualifiés.

« Les frontières canadiennes n'existent plus » ; « N'importe qui, que ce soit des criminels, des terroristes, des assassins et des anciens membres de l'Etat islamique peut entrer », disent les manifestants, ajoutant qu'ils payaient des impôts pour des gens qui n'appartiennent pas au pays, mettant ainsi leur propre sécurité de l'emploi en péril.

Selon Andrew Scheer, chef du Parti conservateur du Canada, l'accord risque d'aboutir à une « abdication de la souveraineté du Canada » et de « saper la liberté d'expression ». De leur côté, ceux qui sont favorables aux migrants ont dénoncé ces propos qu'ils disent sans fondement. Justin Trudeau a quant à lui jugé irresponsable de susciter la peur face à l'immigration.

Une résurgence du populisme en Occident

Les manifestations de « gilets jaunes », qui visaient originellement à lutter contre la hausse des prix du carburant, sévissent depuis au moins cinq semaines en France, avec des gaz lacrymogènes flottant jusqu'au-dessus des Champs-Élysées. Puis cette violence informe s'est étendue aux pays voisins, en Belgique et aux Pays-Bas, où les gens ont exprimé leur colère face au coût de la vie élevé et à l'immigration.

La révolte a poussé le Premier ministre belge Charles Michel à annoncer sa démission le 18 décembre, dans un contexte de condamnation par ses alliés de droite, qui affirment que l'adhésion au pacte des Nations unies sur la migration menaçait la souveraineté même de la Belgique.

Néanmoins, il est toujours surprenant que le mouvement, malgré une ampleur beaucoup plus petite, ait aussi conquis le Canada, un pays peu peuplé qui a la réputation d'être d'un tempérament modéré. Son adhésion au principe de l'immigration remonte au milieu des années 1800, lorsque le pays a adopté une loi sur l'immigration, qui était cependant raciste et n'acceptait que les Blancs.

Sa politique en matière de migration n'a été complètement transformée que lorsque la loi sur l'immigration de 1961 a supprimé les critères de discrimination raciale dans le processus d'admission, suivie par la mise en place d'un système à points quelques années plus tard. Les mesures d'immigration libérales et humanitaires ont contribué à façonner le Canada en une nation multiethnique et multiculturelle.

Depuis que Justin Trudeau a pris ses fonctions en 2015, il a davantage orienté le Canada en tant que phare de la liberté. Après avoir annoncé que le Canada accepterait 25 000 réfugiés syriens, le Premier ministre les a accueillis lui-même à l'aéroport, leur a remis des manteaux d'hiver et les a appelés « nouveaux Canadiens ». À l'époque, il y avait peu de voix dissidentes. Mais aujourd'hui, les choses changent.

Les gens ont tendance à croire en la rhétorique négative entourant les immigrants : ils volent leurs emplois, abaissent leur niveau de vie et commettent des crimes. Mais dans le même temps, ils ont largement négligé les avantages économiques et la diversité culturelle apportés par l'immigration.

Une identité occidentale fracturée ?

Selon un reportage de CBC News, Victor Teece -un « gilet jaune » à Regina- a déclaré que le pacte des Nations Unies sur la migration est « destructeur pour le Canada en tant que nation », ajoutant que l'identité du Canada est centrée sur « les valeurs européennes, judéo-chrétiennes ».

Les années écoulées ont été marquées par une montée du populisme et une montée des partis de droite ou d'extrême droite, allant d'« Occupy Wall Street » aux États-Unis et au Brexit à la prise de pouvoir d'un gouvernement populiste en Italie et à la doctrine du retrait de Donald Trump. Il semble que le monde occidental se soit perdu dans un labyrinthe d'identités et de mondialisation.

Samuel Huntington, auteur de « Le choc des civilisations et le remaniement de l'ordre mondial », a émis l'hypothèse que les différentes cultures « se réindigéniseraient » à mesure qu'elles entreraient en contact. Les interactions culturelles peuvent soit engendrer la diversité d'un creuset, soit renforcer l'identité en groupe d'un héritage partagé comme perçu. Pour les Occidentaux, cet héritage réside en grande partie dans leurs valeurs judéo-chrétiennes et, dans certains cas, dans la « pureté » de la lignée anglo-saxonne.

« L'unipolarité qui a défini l'après-guerre froide est terminée, l'Occident lui-même se dissipe et nous retrouvons la géographie classique, en particulier en Europe », écrivait de son côté le journaliste politique américain Robert D. Kaplan dans son article « Le retour du monde de Marco Polo ».

Cependant, la théorie de Samuel Huntington n'est pas une loi naturelle, et le choc des cultures et des valeurs peut tout aussi bien susciter l'attention des défenseurs du multiculturalisme et de la mondialisation. À mesure que les manifestations se déchaîneront, l'attention sera-t-elle davantage portée sur ceux qui plaident pour un retour à une époque plus simple, ou la tolérance des différences l'emportera-t-elle ?

(Rédacteurs :Gao Ke, Yishuang Liu)
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