Yang Liujin, un adolescent de 14 ans vivant au Guangxi (sud-ouest), a reçu en deux semaines plus de 5 millions de yuans (793.000 dollars) de dons de la société chinoise après qu'une chaîne de télévision locale a diffusé fin mai un reportage sur sa "misérable" vie. Yang Liujin habite seul depuis des années. Ses grands-parents sont décédés après la mort de son père et sa mère a quitté son village reculé et pauvre il y a plusieurs années.
Cet adolescent de 14 ans a-t-il pour autant besoin de tout cet argent? Trois mois après la diffusion de ce programme télévisé, le devenir de ces 5 millions de yuans de dons reste une question irrésolue et a engendré une polémique sociale.
Pour le moment, aucune organisation caritative n'est intervenue dans l'affaire.
"La presse, en tant que quatrième pouvoir, a-t-elle le droit de rendre public un numéro de compte bancaire personnel pour inciter le public à offrir des dons à une personne en difficulté? Faire appel aux dons du public ne va-t-il pas au-delà de la vocation des médias?" s'est interrogée Jin Jinping, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Pékin, au cours d'un colloque consacré à l'affaire Yang Liujin.
Jin Jinping, également spécialiste en droit sur les ONG, a remis en cause le principe même de recourir à des services publics comme la télévision pour aider un individu en particulier.
"Il faut également penser aux intérêts des autres individus de la société qui connaissent des difficultés mais restent silencieux", a-t-elle noté. "La véritable question, et qui est très épineuse, est de savoir à qui revient la propriété de ces dons. Est-ce que lorsqu'il aura atteint l'âge de la majorité Yang Liujin pourra utiliser cet argent librement? Est-ce que cet argent ne pourrait pas servir à venir en aide à d'autres personnes dans le besoin?", a-t-elle poursuivi.
"Des personnes au grand coeur ont généreusement donné 5 millions de yuans, sans avoir toutefois conscience que le cumul de ces milliers de petits gestes pouvait aller à l'encontre de leur volonté et de l'intérêt public", a indiqué Yang Tuan, vice-directrice du centre de recherche en politiques sociales de l'Académie des Sciences politiques.
En 2005, le ministère des Affaires civiles a proposé au Comité permanent de l'Assemblée populaire nationale de travailler sur un projet de loi sur les oeuvres caritatives, qui est aujourd'hui toujours en cours d'élaboration. La collecte de dons auprès du public sera au menu du projet de loi.
"La loi doit d'abord protéger la liberté et la volonté des donateurs. Elle doit encadrer les normes de conduite pour éviter que ce genre de situation paradoxale ne se reproduise", a suggéré Mme Yang.
"L'histoire de Yang Liujin a été exagérée par la chaîne de télévision", a déclaré Jia Xinqi, professeur en éthique sociale à l'Université normale de Beijing. "Des personnes bienfaisantes ont fait des dons parce qu'elles ont cru l'histoire diffusée par la chaîne. L'exagération des 'misères' de cet adolescent et la dissimulation de faits sont une insulte au public".
Jia Xinqi estime que la presse peut agir pour aider un individu en particulier, mais que ce qui importe vraiment est le respect de la vérité.
En effet, ce que la chaîne de télévision a omis de préciser dans son reportage, c'est que Yang Liujin reçoit une allocation de cent yuans par mois et une aide financière d'une organisation caritative publique de plus de 600 yuans par semestre scolaire. Il vit à l'internat de son école du lundi au vendredi et le week-end chez son grand cousin.
"Ce qui manque à Yang Liujin ce n'est pas seulement une aide financière mais également de la sollicitude", a conclu Yang Tuan.