Au moins cinquante personnes ont été arrêtées et placées en détention arbitraire dont deux anciens députés de l'Assemblée nationale (parlement) par le pouvoir à Bangui, la capitale de la République centrafricaine (RCA) où un climat tendu persiste, annonce un responsable des droits de l'homme.
Sous couvre-feu nocturne (entre 19h et 5h locales) suite à un décret du président François Bozizé la semaine dernière face à la progression des combattants de coalition rebelle Séléka qui exigent son départ, la capitale centrafricaine vit la peur au ventre, les habitants étant pris de panique au regard de la détérioration de la situation sociopolitique qui engendre exactions et pillages en série.
« Il y a des cas d'arrestations et des cas de morts. Des gens ont été arrêtés et détenus à la section des recherches et des investigations (services spéciaux centrafricains, NDLR). On parle d'au moins 50 personnes, au rang desquels deux anciens députés », a déclaré Fulgence Zeneth, membre de l'Observatoire centrafricain des droits de l'homme (OCDH) joint mardi à Bangui par Xinhua.
De l'avis du responsable humanitaire, les deux élus dont il n'a pas révélé l'identité, sont originaires respectivement de Birao et de Ouanda Djallé, deux localités du Nord-Est du pays sous contrôle rebelle depuis toujours. « On n'a pas l'idée de leur lieu de détention », a-t-il mentionné, confirmant une chasse à l'homme à Bangui contre les sympathisants de la rébellion dénoncée par celle- ci.
Avec ses 4.600 combattants déclarés, la coalition Séléka a pris les armes le 10 décembre pour chasser le président Bozizé, ex-chef d'état-major des Forces armées centrafricaines (FACA, armée régulière) arrivé au pouvoir lui-même par un coup d'Etat militaire le 15 mars 2003 contre Ange-Félix Patassé, ex-chef de l'Eta aujourd'hui décédé.
Aux portes de Bangui depuis la prise de Sibut, localité située à quelque 180 km au Nord, ces rebelles menacent d'attaquer directement le pouvoir dans la capitale en cas d'échec des pourparlers de paix préconisés par la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC, à laquelle la RCA appartient) et l'Union africaine (UA).
En trois semaines de combats, plus de 100 personnes sont mortes dont 93 du côté de l'armée régulière et 12 chez les rebelles, selon les chiffres communiqués à Xinhua par la rébellion, un bilan non confirmé ni infirmé par le pouvoir qui de son côté condamne l'action de déstabilisation et les pillages de ceux qu'il qualifie de « hors-la-loi » et « ennemis du peuple centrafricain ».
Selon le ministre de l'Administration du territoire, Josué Binoua, dans un entretien téléphonique avec Xinhua dimanche, une des manifestations des dégâts causés par l'offensive des assaillants concerne la mise à sac de l'usine de fabrication du sucre près de Bambari (Est), l'unique industrie du pays qui permettait à la RCA de produire environ 90.000 tonnes de sucre raffiné par an.
Depuis son siège de Bangui, l'OCDH confirme ces exactions. « On a appris les pillages à Ndélé, Bria, Bambari et Kaga Bandoro », a affirmé Fulgence Zeneth qui a jugé préoccupante la situation humanitaire. « A partir du moment où il n'y a pas un couloir humanitaire et où il n'y a pas de sécurité, c'est difficile d'intervenir », a-t-il regretté.
Il a fait état d'un manque d'engagement formel des autorités autorisant les organisations humanitaires à mener leurs activités de terrain au profit des populations affectées par la nouvelle crise.
Dans la capitale, renseigne-t-il encore, « les prix des denrées alimentaires flambent, parce que le principal axe de ravitaillement a été coupé ».
Dans la population, chacun s'organise comme il peut pour surmonter la crise, un conflit qui, à l'occasion de la Saint- Sylvestre, a privé de fête cette population qui, d'ordinaire déjà, se caractérise pour la plupart par des conditions de vie modestes.
« Le climat reste tendu. Il n'y a pas de fête. Les gens vivent dans la peur. On prie, on observe. C'est l'incertitude, personne ne peut prédire ce qui va arriver dans les jours à venir », se désole Fulgence Zeneth qui accuse les deux parties belligérantes de manque de volonté réelle d'aller au dialogue pour mettre un terme aux souffrances du peuple.
Pour illustrer son observation, le défenseur des droits de l'homme mentionne l'absence d'accord sur une date pour les négociations annoncées. « Les déclarations du gouvernement et des rebelles ne sont pas de nature à faciliter l'ouverture d'un dialogue. Forts de leur succès sur le terrain, les rebelles essaient de faire de la surenchère », insiste-t-il.
Evoquant les expériences antérieures comme les accords de paix conclus en juin 2008 à Libreville au Gabon, Zeneth doute des résultats du dialogue entre François Bozizé et ses adversaires. « Ce dialogue va aboutir à quoi ? Il y a tellement eu de dialogues dans ce pays. Je ne crois pas à un quelconque dialogue ».
Même la médiation entreprise par la CEEAC apparaît, à ses yeux, peu porteuse de succès. « Dans la situation actuelle, je ne pense pas que l'action extérieure qui peut rassurer. Les accords de Libreville avaient été signés par trois parties : le gouvernement, les groupes armés et la société civile. La société civile n'est pas associée aux démarches en cours ».
A l'en croire, la délégation de la CEEAC rendue la semaine dernière à Bangui s'est en effet contentée des rencontres avec le pouvoir de Bozizé et les rebelles, sans les représentants de la société civile.
Or, estime Zeneth, « des personnalités comme l'archevêque de Bangui ont une certaine influence et peuvent aider à trouver une solution à la crise ».
A l'intérieur comme hors de la RCA, nombreux sont les observateurs qui s'interrogent sur l'avenir de François Bozizé à la tête de son pays. Retranché dans la capitale avec le soutien de l'armée tchadienne, l'ex-chef rebelle mué en dirigeant politique est jugé en posture inconfortable.
« L'avenir politique du président Bozizé nous semble aujourd'hui incertain. Le rapport de forces face aux rebelles ne lui est pas favorable », a analysé le politologue camerounais Joseph Vincent Ntuda Ebodé.