Il fallait bien s'y attendre, le récent sommet de la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC) tenu jeudi à N'Djamena au Tchad a "pris acte" -- formule diplomatique consacrée pour couvrir une prise de position -- des décisions du Conseil national de transition centrafricain avec notamment l'élection de Michel Djotodia comme président par intérim.
Au plan pratique, presque un mois après la chute du régime de François Bozizé le 24 mars, cette reconnaissance consacre le début effectif de la transition dans une République centrafricaine (RCA) plongée dans la violence et l'insécurité. A commencer par la capitale Bangui dont les habitants, traumatisés par les pillages et les tueries continus, vivent désormais la peur au ventre.
Passé l'euphorie de leur prise de pouvoir après trois mois de conflit avec l'ancien pouvoir et malgré les accords de paix conclus le 11 janvier à Libreville au Gabon sous l'égide de cette même CEEAC, l'ex-alliance rebelle de la Séléka et son leader propulsé au devant de la scène publique nationale ont du pain sur la planche pour rassurer les Centrafricains et la communauté internationale sur leurs capacités à restaurer la paix et la stabilité dans ce pays à l'économie exsangue.
La tâche s'annonce ardue, dans la mesure où la Séléka, elle-même soumise à l'urgence de mettre de l'ordre dans les rangs de ses éléments régulièrement mis en cause dans les exactions décriées, "est une coalition hétéroclite et une fois que son ennemi principal François Bozizé est écarté, elle n'a plus de raison de maintenir un semblant de cohésion qui semblait la mener vers le pouvoir", a estimé dans une analyse à Xinhua le politologue camerounais Firmin Mbala.
"La Séléka n'a aucun projet d'avenir en soi. Elle n'a pas une vision politique autre que celle de déloger Bozizé du pouvoir", un objectif que les nouveaux maîtres de Bangui ont réussi à réaliser, en allant de "succès militaires en succès militaires qui ont dépassé leurs espérances", juge l'universitaire pour qui finalement l'acteur clé de la transition à l'intérieur de la Centrafrique va être le Premier ministre, Nicolas Tiangaye, adoubé par la CEEAC.
Auparavant chef de file de l'opposition démocratique, le chef du gouvernement d'union nationale en poste depuis les accords de Libreville qui avaient recommandé sa nomination, avait déjà été un acteur central lors de la transition consécutive au coup d'Etat de mars 2003 de Bozizé contre Ange-Félix Patassé, chef de l'Etat réélu démocratiquement quatre ans plus tôt pour un second mandat de cinq ans.
LA RCA PRIVEE D'AIDE FINANCIERE EXTERIEURE
Après Paris en France récemment, il est annoncé pour une nouvelle visite internationale auprès des bailleurs de fonds centrafricains ces jours-ci à Bruxelles en Belgique. Mais à Bangui, l'opportunité de ces déplacements fait débat. "Il va à Bruxelles avec quel dossier ? Est-ce qu'une évaluation des besoins a été faite après le conflit entre la Séléka et le régime de Bozizé ? Il ne doit pas partir juste pour les discours, il doit aller soutenir les dossiers", observe un acteur de la société civile.
Par ces décisions, le nouveau pouvoir centrafricain a procédé à un changement d'homme à la tête des Forces armées centrafricaines (FACA) en nommant un nouveau chef d'état-major, en la personne du général Jean-Pierre Dolowaye, ex-sous-chef d'état-major chargé des opérations, présenté comme un responsable militaire bien formé et respecté de ses camarades d'armes.
Mais, le nouveau commandant en chef de l'armée centrafricaine réussira-t-il à "s'imposer aux gens qui ne relèvent pas de sa chaîne de commandement, à savoir les éléments de la Séléka que leur propre hiérarchie a déjà du mal à discipliner, lui qui est issu de l'armée régulière et a combattu cette même Séléka ? Aujourd'hui, comment va se passer la cohabitation ?", s'interroge notre acteur social.
Du coup, des appels sont lancés pour la mise en œuvre du programme DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion) destiné à pacifier la RCA et donc à mettre un terme à la circulation des armes. C'est un vieux dossier qui n'a pas évolué sous le régime Bozizé et que le confit entre celui-ci et la Séléka a ressuscité.
Peu avant la prise de pouvoir de l'ex-rébellion, les pays de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) avaient débloqué 4 milliards de francs CFA (8 millions de dollars) pour la réalisation de ce programme et des promesses d'aide de plus de 3 millions d'euros de l'Union européenne (UE) avaient été annoncées.
Suspendue des organisations internationales dont l'Union africaine (UA) après cet épisode jugé comme une entorse à l'ordre constitutionnel, la RCA est aujourd' hui privée de l'aide financière extérieure nécessaire au fonctionnement de ses institutions. Le nouveau sommet extraordinaire de la CEEAC de jeudi a souligné la nécessité de fournir un appui conséquent pour accompagner la transition amorcée.
PAX TCHADIANA
Dans sa nouvelle posture de faiseur de rois et gendarme régional, le président tchadien Idriss Deby Itno, présenté comme le parrain de Djotodia et son équipe, apparaît en première ligne dans cette cause. Pour Firmin Mbala, "il a les moyens d'imposer une 'pax tchadiana', c'est-à-dire une paix qui doit sa réalité et sa réalisation à la contribution aussi bien en termes financiers qu'en termes d'intervention militaire".
"C'est des moyens qui ne peuvent pas être totalement suffisants", nuance cependant le politologue. Dans ce cas, la question se pose sur les ressources qu'utiliseront les nouveaux maîtres de Bangui pour diriger le pays.
Certes, les deux sommets de N'Djamena ont consacré l'érosion des pouvoirs de Michel Djotodia pour le cantonner à un rôle honorifique à la tête de l'exécutif, pour les confier à Tiangaye. Mais, de l'avis de Mbala, s'il est incompétent, l'ex-chef rebelle risque d'être un facteur de nuisance. "Pour l'instant, note-t-il, rien n'indique de Djotodia soit incomparablement plus compétent que Bozizé".
Après avoir déjà obtenu la dissolution du Conseil supérieur de transition créé le 6 avril au profit du Conseil national de transition considéré comme étant plus expressif du nouveau contexte sociopolitique, la société civile continue de veiller au grain. Elle fait pression sur le Premier ministre pour la tenue d'une "conférence nationale" visant à débattre des maux de la RCA.
"Les problèmes de la RCA, justifie par exemple Fulgence Zeneth, un de ses membres, ne sont pas partis avec Bozizé". C'est que, dans ce pays pauvre d'Afrique centrale dont pourtant l'extraction des minerais de diamant représente 40% de l'économie nationale qui est sur le point de devenir un pays producteur de pétrole, l'histoire repasse les plats.
Comme le rappelle Firmin Mbala, depuis André Kolingba jusqu'à Bozizé en passant par Patassé, "tous les dix ans, il y a des formes d'alternance armée en RCA". En cause : l'incapacité des pouvoirs successifs à satisfaire les besoins de la population. Une population qui aujourd'hui ne semble pas accorder un état de grâce à Djotodia et ses hommes, placés devant leurs responsabilités après leur arrivée douloureuse aux affaires.