95% de près de 2 100 km de frontière terrestre commune délimités, le Cameroun et le Nigeria sont sur le point de franchir un pas décisif dans le règlement pacifique de leur différend frontalier concernant la presqu'île de Bakassi qui avait entraîné un conflit armé et une longue bataille juridique de huit ans auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye aux Pays-Bas.
Sous l'égide des Nations Unies dont le représentant spécial du secrétaire général pour l'Afrique de l'Ouest, l'Algérien Saïd Djinnit, en assure la présidence, les délégations officielles des deux pays sont réunies depuis jeudi jusqu'à vendredi à Yaoundé pour une nouvelle session de leur Commission mixte sur la démarcation de la frontière.
Au menu de ces travaux qui consacrent la mise en oeuvre de l'arrêt de la CIJ du 10 octobre 2002 rendu en faveur du Cameroun sur la souveraineté de Bakassi, localité du Sud-ouest de ce pays d'Afrique centrale occupée par l'armée nigériane de 1993 jusqu'à son retrait officiel en 2008 : principalement la planification du reste du parcours de démarcation et des travaux de construction des bornes frontière.
Onze ans après le démarrage de ce processus, le bilan établi par le chef de la délégation camerounaise, Amadou Ali, montre que « les experts du Cameroun et du Nigeria, assistés des Nations Unies, se sont déjà accordés sur les emplacements des bornes frontières sur une distance d'environ 1.913 km sur les quelques 2. 000 km que compte l'ensemble de la frontière Cameroun-Nigeria ».
Pour le vice-Premier ministre, ministre délégué à la présidence chargé des Relations avec les Assemblées, ce résultat représente un taux d'exécution de 95% des travaux d'évaluation. « De même, 467 bornes frontière ont déjà construites et posées de la borne 5, au sud du Lac Tchad, région de l'Extrême-Nord-Cameroun, jusqu'aux environs de la source de la rivière Tsikakiri, dans la région du Nord », a-t-il souligné en outre à l'ouverture jeudi de la 31e session de la Commission mixte.
A lui seul, l'arrêt de la CIJ n'avait pas permis de faire baisser les tensions entre les deux pays. Il aura fallu la signature d'un accord diplomatique en juin 2006 à Greentree aux Etats-Unis entre le président camerounais Paul Biya et son homologue nigérian d'alors Olusegun Obasanjo, sous la conduite du secrétaire général des Nations Unies de l'époque, Kofi Annan, pour créer un climat de confiance mutuelle.
C'est ainsi qu'après le retrait des forces nigérianes de Bakassi le 14 août 2006, la rétrocession définitive de la péninsule avait été célébrée deux ans jour pour jour plus tard à Calabar (Sud-ouest nigérian), dans une atmosphère moins tendue.
Le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest a salué la laborieuse évaluation par l'équipe technique de la commission tripartite des Monts Gotel, « grâce à laquelle 62 kilomètres de frontière supplémentaires pourront être démarqués. Leurs efforts permettent désormais d'étendre la distance de frontière terrestre sur laquelle le Cameroun et le Nigeria se sont accordés à 1.893 kilomètres ».
De l'avis d'Amadou Ali, trois étapes cruciales restent à franchir pour parachever le processus : l'évaluation des zones de désaccord et des zones sautées dont la distance cumulée est d'environ 81 km, la poursuite des opérations de construction et de pose des quelque 500 bornes frontières restante, puis la confection de la carte finale de la frontière démarquée et l'adoption du procès-verbal de la démarcation.
Aux yeux de Saïd Djinnit, les cartes produites devront être enregistrées formellement auprès de la Section des Traités des Nations Unies afin qu'elles puissent devenir imposables à tous. « Pour assurer la pérennité de cet effort de démarcation, suggère-t- il par ailleurs, il convient en outre de prévoir un accord de démarcation. Un comité de rédaction sera donc très prochainement établi à cet effet ».
La Commission mixte des Nations Unies pour la mise en oeuvre de l'arrêt de la CIJ du 10 octobre 2002 entre le Cameroun et le Nigeria se réunit tous les ans de façon alternée à Yaoundé et à Abuja. Ses travaux s'étendaient à la délimitation de la frontière maritime entre les deux pays, un dossier qui a quant à lui déjà été achevé.
Dans l'objectif de normalisation effective des relations bilatérales à travers la consolidation de la paix, la réflexion est aussi orientée vers le développement de projets socioéconomiques d'assistance aux populations affectées par la démarcation.
Dans cette optique, une série d'accords de coopération et de partenariat a été conclue au cours des dernières années, en matière par exemple de sécurité, d'interconnexion électrique qui fera que le Cameroun commercialise de l'énergie produite sur son sol à son voisin d'Afrique de l'Ouest.
Bientôt, les déplacements de l'un à l'autre côté de la frontière seront facilités par une route dont la partie encore non bitumée côté camerounais (Sud-ouest) est sur le point de terminer ses travaux. C'est un tronçon du corridor transafricain Lagos- Mombasa.
Le bitumage de cette route jouera sans doute un rôle de catalyseur dans l'accroissement des échanges commerciaux bilatéraux qui ont atteint un niveau record en 2011, de sorte que le Nigeria a arraché à l'Union européenne (UE) la place de premier fournisseur du Cameroun.
De facto, le chef de la délégation nigériane, Mohammed Bello Adoke, ministre de la Justice, a exhorté le reste du monde à s'inspirer de ce cas comme un modèle de résolution pacifique des conflits. Face aux menaces de grand banditisme et de piraterie maritime aux frontières communes, il a cependant plaidé pour la mise en oeuvre effective de l'accord de sécurité transfrontalière.