Partant de son rôle historique dans le mouvement national de libération de la Tunisie, l'Union générale tunisienne du Travail (UGTT) ne cesse actuellement de peser lourd sur la scène politique et socioéconomique du pays à même de s'engager dans un bras de fer avec un "Etat-melting pot" à deux composantes essentielles, islamistes et laïcs en l'occurrence.
Ce bras de fer s'est manifestement illustré à travers un constat socioéconomique alarmant en raison d'une spirale de grèves suite à l'attaque le 4 décembre dernier sur le siège central à Tunis de l'UGTT, et son recent refus de participer à un dialogue national visant le consensus sur les différentes questions en suspens (élections, régime politique, Constitution).
Parallèlement à un constat politique déséquilibré, bon nombre de Tunisiens commencent à réaliser à travers la presse locale que la centrale syndicale (UGTT) opte désormais pour une "conduite partisane" à travers sa présence dans les entreprises et le déclenchement des grèves à réédition pour ainsi "prendre en otage l'économie tunisienne.
Le tournant du 4 décembre 2012
La démonstration de forces entre l'UGTT et les parties au pouvoir en Tunisie a pris une allure ascendante suite à l'attaque le 4 décembre dernier ciblant le siège centrale de la centrale syndicale en plein centre-ville de Tunis.
Deux versions différentes ont été avancées à cet effet dont la première (émanant de l'UGTT) condamne les Ligues de protection de la révolution (associations pro-islamistes) alors que celle élaborée par le gouvernement innocente les "Ligues" tout en admettant leur "responsabilité partielle" dans cette affaire.
D'après le porte-parole de l'UGTT Sami Tahri, "le rapport des représentants du gouvernement est un faux témoignage dont le but est de ne pas porter préjudice aux Ligues de protection de la révolution". La centrale syndicale et le gouvernement n'ont pas jusque-là trouvé un terrain d'entente sur cette question malgré la tenue d'une dizaine de réunions.
Samir Cheffi, secrétaire général adjoint de l'UGTT avait insisté il y a quatre jour à Sfax (centre économique de la Tunisie) que l'UGTT n'acceptera ni atteinte à la dignité des travailleurs et à leurs droits syndicaux dont le droit à la grève ni la remise en cause des résultats de l'enquête sur les incidents du 4 décembre dernier.
"La centrale syndicale ne se courbera pas devant les campagnes organisées à son encontre et continuera de défendre la dignité du travailleur et son droit syndical (..) jusqu'à ce que le gouvernement provisoire respecte ses engagements". L'UGTT s'impose ainsi, selon ses leaders, en tant que garant de la stabilité du pays.
L'UGTT refuse de prendre le train en marche
La tension entre l'UGTT et les autorités tunisiennes s'est relativement amplifiée suite au refus de la centrale syndicale de faire partie à un dialogue national initié par le president Marzouki et démarré lundi dernier.
En octobre dernier, l'UGTT avait convoqué la coalition tripartite (Troïka) au pouvoir, tous les partis politiques et la société civile tunisienne autour d'un dialogue national afin de trouver une issue à la crise politique et socioéconomique que connaît la Tunisie en transition. Cette initiative a été marquée par l'absence de deux alliés de la Troïka, les islamistes du parti majoritaire Ennahdha (Renaissance) et les laïcs du Congrès pour la République (parti du président de la République).
La raison derrière l'absence était la présence de l'Appel de Tunisie, l'un des principaux partis de l'opposition tunisienne et classé par les derniers sondages favoris des prochaines élections générales du pays. Des politiciens et analystes tunisiens pensaient que l'initiative de la centrale syndicale a été "avortée " à cause du principe d'exclusion adoptée par deux pôles de la Troïka.
Toutefois, cette même raison n'a pas été respectée par Ennahdha et le Congrès pour la République à l'occasion d'un deuxième dialogue national. Lequel a pu regrouper autour de la même table la Troïka, l'Appel de la Tunisie et plusieurs partis politiques y compris ceux non représentés à la Constituante.
L'UGTT a decidé de ne pas "prendre le train en marche", comme l'a annoncé le porte-parole de l'UGTT Sami Tahri. "D'abord, le dialogue qui se déroule sous les auspices de la présidence de la République n'est pas un dialogue national. Il est plutôt un dialogue de partis", a expliqué M. Tahri.
Dans ce sens, les syndicalistes tunisiens présentent trois raisonnements: premièrement l'exclusion de certains partis politiques. Deuxièmement, l'UGTT n'a pas l'intention de se joindre à un dialogue qui a déjà démarré et troisièmement, la poursuite des concertations en vue de la tenue de la deuxième phase du dialogue national initié par la centrale syndicale prévue pour la première semaine du mois de mai 2013.
L'économie tunisienne prise à l'otage
Déjà, l'économie tunisienne a commencé à subir l'impact du rapport de forces entre les deux parties. Répartis sur les différents secteurs d'activités (transport, enseignement, production), les grèves ont enregistré une hausse de 14% en nombre durant le premier trimestre de 2013 par rapport à la même période de 2012, a révélé le ministre tunisien des Affaires sociales Khalil Zaouia.
72% des grèves ont été observées dans les domaines de la sous- traitance et les services. Par ailleurs, le bilan faisant état de 255 réclamations de grèves soit une hausse de 10% sachant que 172 grèves ont été annulées suite à des négociations entre la partie syndicale et le gouvernement. Ces chiffres viennent s'ajouter à l' arrêt d'activités de 120 entreprises étrangères en 2012. Cela s' impute essentiellement aux "difficultés de commercialisation vers l'Europe et à d'autres raisons liées à la productivité et les problèmes sociaux", argumente le ministère tunisien de l' investissement et de la Coopération internationale.
C'est dans cette orientation que des experts et analystes tunisiens appellent les dirigeants à imposer "une trêve sociale" jusqu'à la tenue des prochaines élections sous prétexte que ce bras de fer UGTT-Etat" ne peut qu'anéantir la création d'emplois, freiner l'augmentation salariale et handicaper le développement du pays.
"Si les grèves cessent, les Tunisiens pourront très rapidement apprécier les effets bénéfiques et profiter des retombées financières et des créations d'emplois dont ils ont tant besoin (.. ), on ne peut pas à la fois demander des emplois et empêcher que le nécessaire soit fait pour leur création, pour venir ensuite se plaindre que rien n'a été fait", d'après un Tunisien établi à l' étranger.
A l'approche de l'approbation de la nouvelle Constitution ( prévue entre juin et juillet 2013) et la tenue des élections générales en Tunisie (15 octobre-15 décembre 2013), l'UGTT ne cesse de prouver son poids sur la scène sociale et économique du pays. De surcroit, les positions de la centrale syndicale suscitent désormais un intérêt tout particulier de la part des trois sommets du pouvoir (présidence, gouvernement et Constituante) .