Présente à Bangui avec une force d'environ 400 hommes prévue d'être triplée dans les semaines ou mois à venir, la France a dû attendre huit mois pour admettre, à la suite des Etats-Unis, que la République centrafricaine (RCA) est "au bord du génocide", conséquence d'une grave crise sécuritaire et humanitaire qui dépasse le pouvoir de Michel Djotodia à résoudre.
Confortées par les rapports d'organisations internationales de défense des droits de l'Homme comme Human Rights Watch (HRW), les déclarations du département d'Etat américain et du gouvernement français tendent à sonner l'alarme pour l'opérationnalisation du projet d'envoi de 6.000 à 9.000 Casques bleus des Nations Unies pour sortir la RCA du chaos dans lequel elle est plongée depuis la prise du pouvoir des ex-rebelles de la Séléka le 24 mars à Bangui.
Les Nations Unies dressent un bilan de 1,6 million de déplacé s sur une population de près de 5 millions d'habitants et 400 morts, un chiffre jugé en deçà de la réalité et revu à la hausse à plus de 3.000 morts par des sources y compris judiciaires du pays.
Sur place dans la capitale centrafricaine, des réactions sont exprimées pour saluer le processus envisagé, lequel devrait venir renforcer le déploiement en vue dès décembre de la Mission internationale de soutien à la Centrafricaine (MISCA), une force régionale de plus de 3.000 hommes sous mandat de l'Union africaine (UA), en remplacement de la Force multinationale de l'Afrique centrale (FOMAC).
"Le pays est effectivement en situation de catastrophe, c'est une descente aux enfers. Mais l'envoi de Casques bleus n'est qu'une solution, qui ne suffira pas à résoudre les problèmes de fond de la Centrafrique aujourd'hui dont toute tentative de règlement véritable doit d'abord passer par le désintéressement de ceux qui ont accompagné la Séléka au pouvoir", a jugé le journaliste et responsable politique Michel Alkhaly Ngady, joint jeudi à Bangui par Xinhua.
Porté notamment au pouvoir par une organisation hétéroclite de plusieurs mouvements rebelles sous le nom de l'alliance Séléka, Michel Djotodia, ancien fonctionnaire du ministère centrafricain des Affaires étrangères et ex-consul à Nyalla au Soudan, peine en effet à asseoir son autorité en tant que chef de l'Etat de transition face à des combattants dont le contrôle lui échappe.
De 4 à 5.000 éléments à l'origine parmi lesquels des mercenaires tchadiens et soudanais, les effectifs de cette coalition armée étaient estimés entre 20 et 25.000 à la fin de l'offensive contre le régime de François Bozizé, suite à une incorporation incontrôlée de repris de justice remis en liberté et de redoutables bandits en liberté dans la nature, de l'aveu même des dirigeants de l'ex-rébellion.
Le conflit terminé, aucune mesure n'a pu être prise pour payer et faire rentrer chez eux les mercenaires tchadiens et soudanais qui, sans prise en charge, se servent tout bonnement de leurs armes pour se faire payer sur la bête. D'où les violences et l'insécurité qui persistent à Bangui et d'autres villes centrafricaines huit mois après l'arrivée au pouvoir de Michel Djotodia.
Entre pillages, braquages, agressions, assassinats, exécutions sommaires, viols et autres atteintes aux droits de l'Homme, "les exactions sont quasi-quotidiennes et le pays est en train de s'é teindre à petit feu. Un pays sans armée, on s'imagine que toutes les dérives sont permises. Car, Djotodia n'a pas une force militaire conventionnelle sous la main", déplore Alkhaly Ngady.
A l'intérieur du pays, de nombreuses villes, caractérisées par une administration fantôme, comme notamment Bossangoa (Nord- Ouest), Bouca et Bouar (Nord) ou encore Bossembélé (Centre), sont devenues le théâtre d'une résistance armée des populations locales organisées en groupes d'autodéfense contre les ex-rebelles.
Ce sont des groupes qualifiés de milices que les nouveaux maîtres de Bangui décrivent comme étant instrumentalisés par l'ancien régime, accusé de tentatives de déstabilisation.
"Notre rôle, c'est de ramener la paix en RCA. Il n'y a pas autre chose que ça", a toutefois laissé entendre Michel Narkoyo, ex-porte-parole militaire de la Séléka propulsé après la prise du pouvoir du 24 mars à la tête des services de la Gendarmerie nationale où il servit avec le grade de gendarme de deuxième classe avant d'intégrer la rébellion au sein de laquelle il a pris les galons de colonel.
L'ex-dirigeant de l'ex-coalition rebelle joint en pleine patrouille jeudi, affirmait-il, se dit lui aussi favorable à l'envoi de missions de paix internationales. Car, avoue-t-il, "la situation ici est très confuse. Nos frères FACA (Forces armées centrafricaines, armée régulière, NDLR), on les a retrouvés ici à Bangui. Personne n'a désarmé. Les bandits qui ont rejoint la Sélé ka ont été équipés en armes. Il y a beaucoup d'armes dans la ville de Bangui qui ne sont pas encore ramassées".
Mais, se défend-il, "60% des exactions qui se passent aujourd'hui à Bangui, ce n'est pas la Séléka. Comme c'est nous qui sommes à l'origine du désordre, on assume".
Il fait part d'un manque criant de personnels qui rend "très difficile" la tâche de sécurisation de la capitale, où il dénombre un effectif de "moins de 400 gendarmes" opérationnels, et du reste du territoire national. "On demande de recruter de jeunes gendarmes pour faire ce travail", confie-t-il, ajoutant que pour l'heure "aucun ex-combattant de la Séléka n'a été recruté" dans ce corps.