Trois ans après le soulèvement populaire du 14 janvier 2011, la Tunisie se veut sur le point de parachever une phase transitoire qui, malgré les handicaps, perturbations et tiraillements politiques, cherche à terminer ses dernières marches avec la récente mise en place de l'instance électorale, l'approbation en cours de la nouvelle Constitution ainsi que l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement apolitique, indépendant succédant à un cabinet de coalition dirigé par des islamistes.
Le pouvoir judiciaire fait couler de l'encre
Jusqu'à présent, les 217 députés de la Constituante sont parvenus à examiner 108 articles de la nouvelle Constitution qui compte au total 146 articles. Ils arrivent au chapitre du pouvoir judiciaire qui soulève une large polémique au niveau de certaines dispositions.
Trois articles ont été rejetés dont l'article103, qui stipule après amendement que les magistrats sont nommés par un décret présidentiel en concordance avec l'avis du Conseil supérieur de magistrature. Quant aux nominations des hauts responsables judiciaires, elles reviennent à la présidence du gouvernement (décret gouvernemental) sur proposition du ministre de la Justice.
Depuis mercredi, les magistrats tunisiens ont entamé une grève générale d'une semaine ouvrable, en signe de protestation contre l'approbation de l'article 103 de la Constitution. L'Association des magistrats tunisiens (AMT) s'affiche être persuadée que cet article reflète une certaine "mainmise" du pouvoir politique sur la justice à travers des nominations directes à la tête de ce pouvoir.
"Les deux premiers paragraphes de l'article 103 sont contradictoires", a commenté dans un passage radiophonique le président de l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature Ahmed Rahmouni. "L'approbation de cet article mènerait à la création d'un Etat dépourvu d'institutions politiques solides et crédibles", a-t-il encore mis en garde.
Parmi les moments forts ayant marqué les séances d'examen de la Constitution figurent la constitutionnalisation de la parité Homme-Femme (article 45). Après amendement, l'Etat garantit les droits de la femme et œuvre à les soutenir et à les développer. L'égalité des chances entre les deux genres dans l'exercice des responsabilités et la parité dans les assemblées élues demeurent également garanties.
Au chapitre des droits et libertés, la peine de mort dans le projet de la nouvelle Constitution tunisienne a été maintenue. Un article manifestement contesté par une large frange de la société civile du pays.
Le soulèvement de janvier 2011, trois ans après
D'après la feuille de route signée par une vingtaine de partis politiques (y compris le parti islamiste Ennahdha, majoritaire à la Constituante et au pouvoir sortant), l'approbation de la Constitution ne devra pas dépasser le 13 janvier 2014, un jour avant la célébration du 3e anniversaire de la révolution.
Un retard imputé à des divergences de vues entre différents blocs parlementaires sur des points litigieux (religion, justice, appartenance et identité géographique de la Tunisie, etc)
"L'adoption de l'ensemble du texte de la Constitution est prévue au cours de cette semaine malgré le climat tendu en séance plénière", a indiqué le président de la Constituante Mustapha Ben Jaafar.
Lors d'un discours prononcé la veille de la célébration du 14 janvier, M. Ben Jaafar a appuyé que "l'Assemblée reste attachée à réaliser les objectifs de la révolution à travers la nouvelle Constitution".
Malgré le terrorisme, a-t-il estimé, prenant pour cibles les agents de sécurité et militaires outre l'assassinat politique visant le député Mohamed Brahmi et l'opposant Chokri Belaïd (tués respectivement les 25 juillet et 6 février derniers), "la transition a progressé vers l'adoption d'une grande partie des articles de la Constitution".
La classe politique tunisienne est soucieuse quant à l'impérative de "serrer les coudes" pour parachever pacifiquement la transition (nouveau gouvernement, nouvelle Constitution et préparation pour les élections générales), combattre le terrorisme, défier la contrebande et corruption, amoindrir le chômage outre l'abrègement des disparités régionales.
Face à une satisfaction du côté d'Ennahdha (islamistes majoritaire à l'Assemblée) et ses alliés (certains partis et associations à idéologie islamique) quant au progrès au niveau de l'exécution de la feuille de route, le Front de salut national (principale alliance de l'opposition) suit avec vigilance l'avancement du processus transitoire menaçant de boycotter le dialogue national une fois les promesses émanant des parties "dominantes" (faisant allusion principalement à Ennahdha en second lieu la Constituante et le nouveau gouvernement ) ne sont pas remplies.
Représentant la gauche au sein du Front de salut national, le "Front populaire" se veut convaincu qu'il a réussi à éloigner le parti islamiste Ennahdha du pouvoir en Tunisie. "Notre militantisme se poursuivra de nature à garantir la concordance entre les processus constituants et gouvernement en fonction de la feuille de route", a assuré le porte-parole du "Front populaire", Hammam Hammami.
Désigné officiellement le vendredi 10 janvier 2014, le nouveau chef du gouvernement tunisien Mahdi Jemaa (ministre de l'Industrie sortant) "est appelé à se pencher sur les dossiers les plus urgents, à prendre des mesures socioéconomiques et dans le domaine sécuritaire et à renforcer la lutte contre le terrorisme", pour reprendre les dires de Houcine Abassi, secrétaire général de la puissante centrale syndicale (Union générale tunisienne du Travail, UGTT).
Bien qu'il s'est affiché satisfait des résultats du dialogue national, M. Abassi, l'un des quatre parrains de ce dialogue, a admis que trois ans après "la révolution de la liberté et de la dignité", les revendications des jeunes tunisiens n'ont pas été encore matérialisées.
La Tunisie s'apprête à parachever une phase transitoire jugée par des observateurs locaux et étrangers d'historique servant de modèle pour toute la région du Moyen-Orient, Afrique du Nord ou encore le Maghreb arabe.
Pour ne citer qu'un seul exemple, le Washington Post (média américain) a affirmé qu'exception faite pour la Tunisie, "l'espoir d'instaurer une démocratie dans les pays du printemps arabe s'est éteint". Ayant subi des problèmes politiques, sécuritaires et économiques comme en Egypte et en Libye, "la Tunisie a pu les surmonter en coïncidence avec le 3e anniversaire de sa révolution".