Dernière mise à jour à 08h46 le 21/12
Le bouillon siffle dans un minuscule pot accroché au-dessus d'une flamme s'échappant d'un « irori » (ou « foyer ») miniature. Un couteau de la taille d'un doigt dégage des minuscules cubes de tofu d'une planche à découper de la taille de paume. Des flocons d'algues tombent d'une cuillère pincée entre le pouce et le doigt. Quelques minutes plus tard, une petite louche dépose la soupe au miso finie dans des bols pas plus gros qu'un timbre. YouTube fourmille de vidéos japonaises montrant la confection de plats minuscules. Avec une minutie hors-pair toute japonaise, les adorateurs de cette cuisine microscopique coupent, épluchent, cuisent des repas traditionnels avec des ustensiles qu'on croirait sortis d'une maison de poupée. Le plat final est rarement plus grand qu'une pièce d'1 Euro et n'a qu'un seul objectif : la satisfaction d'avoir réalisé un plat aussi recherché que minuscule.
Leurs créateurs rétrécissent des recettes à des dimensions lilliputiennes : des crêpes de la taille d'une pièce de monnaie, des hamburgers assez compacts pour être retournés avec des baguettes. Les repas peuvent être extrêmement restreints, mais ils n'en sont pas moins parfaitement comestibles. La plupart des ingrédients sont énormes par rapport aux produits finis, mais chaque fois que possible, les chefs choisissent des remplaçants plus petits : ainsi, les oignons grelots ou les mini-échalotes se substituent à leurs homologues plus grands, et les œufs de caille remplacent les œufs de poule.
Merry White, professeur d'anthropologie à l'Université de Boston, qui étudie la culture et la cuisine japonaises, affirme que cette nourriture minuscule incarne l'obsession japonaise du « kawaii », ou « mignon ». Les plats sont généralement présentés dans un décor de meubles et d'accessoires de poupée, petites chaises, assiettes, lampadaires et plantes en pot tout aussi minuscules. Merry White détecte une sorte de moquerie affectueuse dans une partie de cette pratique, une « taquinerie ludique par la miniaturisation, et rendre l'ordinaire exceptionnel ». Bien que les recettes soient assez simples -il s'agit plus de cuisine maison que de haute cuisine- les vidéos n'en révèlent pas moins une attention extrême portée aux détails.
Cette tendance de la nourriture minuscule se greffe sur un enthousiasme japonais pour des émissions de cuisine farfelues -comme la populaire « Cooking With Dog », par exemple, animée par une Japonaise anonyme dont le caniche navigue autour de son comptoir. Selon Merry White, par rapport à de tels spectacles, les vidéos de plats miniatures sont peut-être un peu plus nostalgiques. Car le foyer traditionnel que quelques-unes des vidéos recréent minutieusement disparaît rapidement du pays. L'« irori » de la vidéo de la soupe au miso, par exemple, rappelle ainsi les fermes à l'ancienne, que la plupart des jeunes ne connaissent plus depuis plusieurs générations.