Dernière mise à jour à 08h50 le 28/01
Il y a 55 ans, la Chine et la France ont pris la décision historique d'établir des relations diplomatiques. En tant que représentants des cultures orientales et occidentales, les deux pays ont vu leurs échanges culturels porter de nombreux fruits, illustrés par l'amitié entre la Chine et le musée Cernuschi (musée des arts de l'Asie).
Avec une collection d'un total de 14.000 objets, dont environ 8.000 pour la collection chinoise, le musée Cernuschi est le deuxième musée d'art asiatique en France et le cinquième musée d'art chinois en Europe.
"On fait une exposition sur la Chine presque chaque année, et à un moment d'ailleurs, ils avaient failli rebaptiser le musée pour 'Musée d'art chinois'", confie à Xinhua Eric Lefebvre, expert de l'histoire de l'art chinois et directeur du musée depuis juin 2015.
L'histoire chinoise du musée Cernuschi
L'histoire chinoise du musée Cernuschi remonte à plus d'un siècle. Dans les années 1870, le banquier italien Henri Cernuschi est parti pour un tour du monde, et lors de son séjour au Japon et en Chine, il a acquis environ 5.000 œuvres d'art, dont une grande partie étaient les bronzes qui formeront le cœur de sa collection. En 1896, il a légué son hôtel particulier et ses collections asiatiques à la ville de Paris, donnant naissance au musée Cernuschi.
Lorsque le musée a été ouvert au public en 1898, il est rapidement devenu le théâtre de nombreuses expositions consacrées aux différentes formes d'expressions artistiques de la Chine. Grâce à l'intérêt de tous les directeurs du musée pour la Chine, la collection chinoise n'a cessé de s'enrichir.
Selon M. Lefebvre, dans la première moitié du 20e siècle, le musée s'orientait principalement vers l'art chinois ancien. Henri d'Ardenne de Tizac, directeur du musée entre 1905 et 1933, a spécialisé le musée dans l'art et l'archéologie de la haute antiquité chinoise. Dans les années 1950, le musée a commencé à s'ouvrir à la peinture chinoise du 20e siècle grâce à Vadime Elisseeff, directeur du musée de l'époque.
Membre de la délégation conduite par le général Pechkoff en Chine, Vadime Elisseeff est parti à Chongqing et Chengdu dans les années 1940, et y a rencontré de nombreux artistes chinois, dont Zao Wou-ki. En 1946, il a organisé une exposition de peintures chinoises contemporaines au musée Cernuschi, qui montrait l'œuvre de Zao Wou-ki pour la première fois en France mais aussi d'artistes tels que Zhang Daqian, Pan Yuliang et Wu Zuoren, qui seraient tous à nouveau exposés plus tard.
Sous la direction de Vadime Elisseeff (1952-1982), puis de Marie-Thérèse Bobot, qui a pris sa succession de 1982 à 1994, une quinzaine d'expositions consacrées à des peintres chinois contemporains ont été organisées. De très nombreux artistes chinois ayant bénéficié de ces expositions ont laissé en don certaines de leurs œuvres, dotant le musée Cernuschi d'une collection unique de peintures chinoises du 20e siècle.
L'amitié se forge et se transmet au fil du temps. A partir des années 1980, les grands musées chinois ont commencé à s'ouvrir à l'international, et en raison de son lien fort avec la Chine, le musée Cernuschi s'est imposé comme le lieu privilégié des grandes expositions venues de Chine, permettant au public parisien de découvrir les bronzes du musée de Shanghai, les origines du céladon, les spectaculaires bouddhas du Shandong ou la culture de l'encens dans l'exposition "Parfums de Chine" organisée en 2018.
Eric Lefebvre et les artistes chinois du 20e siècle à Paris
En 2004, Eric Lefebvre a commencé à travailler au musée en tant que conservateur des collections chinoises. A ce moment-là, il "travaillait également sur sa thèse, qui porte sur les collections de Ruan Yuan (1764-1849) comme exemple de transmission du patrimoine culturel dans la Chine pré-moderne", précise-t-il.
Peu après son entrée au musée Cernuschi, il a trouvé un autre champ de recherche : les artistes chinois du 20e siècle en France. "Pourquoi ce sujet? Parce que je me suis inspiré du parcours de la collection de Ruan Yuan".
"Ruan Yuan, c'est quelqu'un qui a été dans plein d'endroits en Chine, et à chaque fois, quand il est arrivé dans un endroit, il commençait à s'intéresser vraiment à ce qui était le plus important dans le patrimoine local", explique-t-il, "Au Shandong, il s'intéresse aux anciens estampages Han, au Zhejiang, il s'intéresse à la peinture et à la poésie, ensuite, (...) au Guangdong, il s'intéresse à la pierre à encre de Duan, puis (...) au Yunan, il s'intéresse au marbre".
Pour M. Lefebvre, la leçon est qu'il faut s'intéresser au patrimoine qu'on peut appréhender et toucher, qui est proche de soi-même, "Ici, au musée Cernuschi, il y avait cette opportunité formidable d'avoir la première collection de peinture chinoise du 20 siècle qui a été dans un musée français".
Les recherches de M. Lefebvre ont porté leurs fruits en 2011, avec l'exposition "Artistes chinois à Paris, de Lin Fengmian à Zao Wou-ki", consacrée aux artistes chinois influencés par l'enseignement académique de l'Ecole des beaux-arts de Paris dans la première moitié du 20e siècle.
L'exposition a été un grand succès. "Lin Fengmian et Xu Beihong sont hyper connus en Chine, mais en France on ne connaît pas leurs noms, le public se demande (qui est) le maître de Zao Wou-ki".
En 2014, à l'occasion du 50e anniversaire des relations diplomatiques sino-françaises, M. Lefebvre a assuré le commissariat de l'exposition "Paris Chinese Painting : l'héritage des maîtres chinois du 20e siècle" à Hong-Kong et "Splendeur des Han, Essor de l'Empire Céleste" au musée Guimet à Paris.
Aujourd'hui, le parcours de l'exposition permanente du musée retrace l'histoire de la Chine depuis le Néolithique jusqu'aux Dynasties Song "alors que le musée a de nombreuses collections des dynasties Yuan, Ming et Qing, puis les peintures du 20e siècle, mais qui ne sont pas exposées faute d'espace".
En tant que directeur du musée, son plus grand souhait est de faire un aménagement pour pouvoir montrer l'histoire complète de la Chine, et finir le parcours avec les peintures chinoises du 20e siècle, note-t-il.