Dernière mise à jour à 09h35 le 29/05
La récente décision des Etats-Unis d'inscrire Huawei sur leur liste noire a obligé les partenaires américains du géant chinois des télécommunications à faire face à une incertitude croissante.
Parmi ceux-ci se trouve LHTC Broadband, une compagnie de télécommunications opérant dans les zones rurales de l'Etat américain de Pennsylvanie. Elle offre les services de téléphonie, de télévision et d'internet à 7.000 zones rurales, dont 1.600 grâce à des équipements fournis par Huawei.
"NOUS N'AVONS ENCORE CONSTATE AUCUNE PREUVE"
Le PDG de LHTC, James Kail, est perplexe : il n'a jamais constaté de menace sécuritaire avec le matériel de Huawei -- non seulement au cours des derniers mois, au moment où des accusations en ce sens ont été bruyamment émises par le gouvernement américain, mais aussi au cours de ses cinq dernières années de partenariat avec Huawei.
"Nous n'avons eu aucun problème avec les équipements eux mêmes, et en plus de cela, leur tarification est très compétitive", a confirmé M. Kail à Xinhua, se souvenant du choix de prendre Huawei comme un fournisseur il y a cinq ans comme d'une sage décision de la part de LHTC.
A la fin de l'année 2018, 90% du projet de LHTC de déployer la fibre en utilisant les solutions de Huawei ont été achevés ; les 10% restants seront accomplis d'ici 2020.
"Durant cinq années, nous n'avons constaté aucune preuve (de menace sécuritaire)", a-t-il jugé.
L'interdiction frappant Huawei, imposée par l'administration Trump, pourrait porter un coup sévère à LHTC, qui emploie seulement 65 personnes. Changer tous les équipements Huawei "serait évidemment une épreuve très lourde pour une petite compagnie comme la nôtre", a estimé M. Kail.
Bonnie Bond, superviseuse du réseau de la filiale locale de LHTC (Xinhua/Liu Jie)
UNE INTERDICTION COUTEUSE ET PROBLEMATIQUE
Selon l'estimation de M. Kail, il faudra environ un an pour que LHTC ait fini de remplacer l'ensemble de ses équipements Huawei, à la condition que la compagnie concentre toutes ses ressources à cela. Le montant de ce remplacement serait estimé entre 400.000 et 500.000 dollars, a-t-il ajouté.
En plus des frais importants que cela engendrerait, M. Kail s'inquiète également d'une suspension soudaine du support technique de Huawei, qu'une telle restriction pourrait potentiellement entraîner lorsqu'elle serait promulguée.
La semaine dernière, le département américain du Commerce a accordé un délai de 90 jours aux compagnies américaines de téléphonie mobile et aux fournisseurs d'accès internet à haut débit liés à Huawei, afin de leur permettre de "prendre d'autres arrangements".
"Si nous n'étions pas en mesure d'avoir accès au support technique de Huawei pour effectuer les mises à jour, du fait d'une cessation de leurs activités, il y aurait un autre problème", a dit M. Kail. Il a ajouté que LHTC suivait de près la situation en raison de ses investissements chez Huawei ainsi que du "potentiel impact significatif sur notre compagnie".
Relevant que le partenariat entre LHTC et Huawei pendant les cinq dernières années a été excellent, M. Kail a par ailleurs dit que Huawei était "très réactif" lors de la survenue de problèmes.
Dans la ville de South Canaan, à cinq heures de route au nord-est de Stahlstown, environ 1.000 résidents utilisent les services LHTC, comptant pour cela uniquement sur du matériel Huawei.
Debout dans son bureau à côté de deux ensembles d'équipements Huawei, Bonnie Bond, superviseuse du réseau de la filiale locale de LHTC, a déclaré à Xinhua que chacune de ces machines avait la capacité de desservir 1.024 clients et que chaque port auquel un câble était relié servait simultanément 32 clients à domicile.
"Ainsi, si nous changions un seul port, ces 32 clients n'auraient plus accès au service, d'ici que nous nous rendions chez eux pour remplacer leur matériel", a-t-elle déclaré.
En plus de la ville de South Canaan, LHTC dispose de trois autres ensembles d'équipements Huawei de ce type dans la communauté voisine de Waymart Borough, selon Mme Bond.
Elle a déclaré qu'elle était "très préoccupée" par le fait qu'une fois que Huawei serait banni, ses clients ne pourront plus regarder la télévision ou surfer sur Internet.
"J'espère que ces clients nous resterons fidèles, mais il y a la concurrence", a-t-elle ajouté.
James Kail (Xinhua/Liu Jie)
LES GRANDES ENTREPRISES AMERICAINES NE SERVENT PAS LES ZONES RURALES
LHTC a été l'une des premières petites entreprises de télécommunication en région rurale américaine à s'associer avec Huawei, a indiqué M. Kail, ajoutant que généralement, les grandes entreprises de télécommunication américaines ne se donnaient pas la peine de servir les résidents des banlieues peu peuplées.
"Elles n'ont jamais voulu desservir ces zones à faible densité de population", a estimé M. Kail. "Et si elles les servent, elles ne les servent pas très bien, car elles ont un modèle d'entreprise différent."
Selon M. Kail, ces grandes entreprises ne participent pas au Fonds de service universel de la Commission fédérale des Communications des Etats-Unis (FCC), qui subventionne les petits opérateurs ruraux pour leur permettre financièrement de fournir des services téléphoniques et d'internet à haut débit aux Américains des zones rurales.
"Les grands opérateurs ne suivent pas ce modèle, ils vont donc focaliser leurs activités sur les villes", a dit M. Kail. Au lieu de fournir des services par câble, les grandes entreprises telles que Verizon ont largement fait le choix de la technologie sans fil, ce qui est inenvisageable dans les zones à faible densité de population, a-t-il ajouté.
En revanche, Huawei a privilégié le marché rural américain. Selon Andy Purdy, responsable de la sécurité chez Huawei Technologies USA, interviewé par les médias américains au début du mois de mai, Huawei compte environ 40 entreprises clientes dans les régions rurales américaines, emploie 1.500 personnes aux Etats-Unis et a acheté pour 11 milliards de dollars de composants à des entreprises américaines en 2018.
Huawei et ZTE, un autre fournisseur chinois d'équipements de réseaux sans fil, desservent aujourd'hui un quart des 55 sociétés membres de la Rural Wireless Association (RWA), qui a recommandé en décembre 2018 à la FCC de ne pas interdire Huawei et ZTE du marché américain.
"Nous pensons que nos technologies sont essentielles pour les agriculteurs, les écoles, les citoyens et les entreprises des régions rurales des Etats-Unis, et nous espérons que nous pourrons continuer d'offrir ce service", a estimé M. Purdy.
Selon les estimations de la RWA, le coût total auquel les petites entreprises américaines auront à faire face pour le remplacement des équipements de Huawei et de ZTE pourrait être de 800 millions à 1 milliard de dollars. Des analystes estiment que des ajustements de la chaîne d'approvisionnement d'une telle ampleur obligeraient certaines petites entreprises à se déclarer en faillite.
En plus d'une interruption potentielle des signaux sans fil en raison de l'interdiction de Huawei, les agriculteurs américains ont également du mal à supporter l'escalade de la guerre commerciale déclarée par les Etats-Unis contre la Chine, qui prive leurs produits de l'accès au marché chinois.
Paradoxalement, cette double peine leur a été infligée par leur propre gouvernement.