Dernière mise à jour à 16h18 le 13/07
Derrière les titres de la presse et les tweets qui dénoncent la Chine comme le grand coupable, se cachent toutes sortes de peurs qu'il est utile d'identifier afin de revenir à des relations sérieuses, assumées et engagées dans la durée.
A travers la Chine, la France a peur pour elle-même. La pandémie a renforcé les inquiétudes des Français, leur manque de confiance en l'avenir, leur dépendance psychologique et politique vis-à-vis des États-Unis. De ce fait la Chine est devenue, grâce à une remarquable propagande, le catalyseur désigné de nos manquements et de nos insatisfactions.
Ce regard méfiant et parfois haineux (le racisme dont ont été victimes les Chinois lors de la crise du Covid-19 ne fait pas de bruit, mais s'est révélé extrême) puise dans l'inculture et une insatisfaction dotée d'arrogance. Non seulement la Chine n'est pas comme « on » aimerait qu'elle soit, mais en plus elle deviendrait trop puissante, trop « envahissante », trop influente dans le monde par rapport à… ce que nous sommes capables d'accepter. Les Chinois quant à eux comprennent mal les raisons d'une telle méfiance et vivent comme une injustice ces critiques, surtout après ces témoignages d'amitié et de solidarité symbolisés par les nombreux envois de masques vers la France.
Christine Cayol, philosophe et Fondatrice de Synthesis et de Yishu 8 (Pékin-Paris), chevalier de la légion d'honneur
La France, tant aimée, admirée, aurait-elle oublié ce lien tout à fait singulier qu'elle a tissé avec la Chine ? La Chine si jeune et si vieille, si agile et si puissante, payerait-elle le prix de sa renaissance ?
Face aux caricatures, la tentation est grande de répondre par d'autres caricatures, la guerre des images produit ses propres violences, influence le cours des évènements, en incitant les Chinois à se voir comme les « incompris » et les Français comme les « victimes » d'une mondialisation où la Chine prend la première place. Or face aux caricatures, il n'y a pas d'autres choix que de proposer d'autres langages, d'autres visions, d'autres pensées que celles qui grossissent le trait afin d'effrayer ou de détruire. Face aux caricatures, il va s'agir de préférer l'esquisse, la calligraphie, la pensée intuitive qui ouvre des chemins vers l'autre.
La voie « gaullienne » a donné le ton en 1964 en rétablissant les relations diplomatiques avec la République populaire de Chine et par là même en provoquant le mécontentement des États-Unis. Lorsque le général de Gaulle parla de la Chine en 1964 dans la conférence de presse qu'il donna sur les relations internationales, il puisa dans l'histoire et la géographie de ce pays, une intuition personnelle de l'avenir. « Ce peuple le plus nombreux de la terre, fort d'une civilisation millénaire remarquable, riche d'une histoire ancienne qui a façonné le tempérament d'une population fière, courageuse, ingénieuse », a dit Général de Gaulle.
Le président de la République ne se prononça pas sur le thème « voici comment la Chine devrait être », mais orienta notre regard vers le partenaire avec lequel la France devrait échanger, avancer, afin de participer à la marche du monde. Sans la République Populaire de Chine comme partenaire durable, la France perdrait quelque chose d'elle-même dans le rôle qu'elle joue dans le monde. La question était autant stratégique que philosophique, nationale que mondiale. Elle dessinait des choix de direction et de coopération sur la façon dont le monde allait se transformer.
Au début du 20ème siècle, lorsque Cai Yuanpei choisit la France comme partenaire en termes d'éducation et de culture, il n'idéalisa pas une France qui était elle-même en crise, mais il y percevait les germes d'une relation féconde et durable. C'est sur la base la connaissance qu'il avait de notre pays, de son expérience de vie, et de cette conviction du « bon partenaire » qu'il créa en 1920 l'Université franco-chinoise de Pékin, institution exemplaire et innovante qui a permis à des centaines de jeunes talents d'aller se former et travailler en France, parmi lesquels Chang Shuhong.
Nous avons besoin aujourd'hui de retrouver l'esprit d'un Cai Yuanpei et d'un De Gaulle qui chacun à leur façon puise dans la culture des peuples, leur histoire, et leur spécificité, les fondements d'un véritable partenariat. Les relations entre la France et la Chine révèlent une histoire d'amour où chaque partenaire s'est choisi pour des raisons explicites et sans aveuglement. La relation franco-chinoise repose sur coopération artistique, politique, économique, portée par des personnalités engagées : Xu Beihong, Deng Xiaoping, le général de Gaulle, plus proche de nous l'ambassadeur Wu Jianmin, mais aussi et bien sûr Chen Zhu et Jean-Pierre Raffarin, tous deux co-présidents du forum culturel franco-chinois. En augmentant le niveau de compréhension mutuelle, ils ont rendu possible d'extraordinaires coopérations où la France ne se retrouve plus face à la Chine mais avec elle.
La France et la Chine se sont choisis il y a longtemps, et ce dans de nombreux domaines, parce qu'elles ont des affinités tout à faire particulières, ce « Yuan Fen » qui inscrit la relation dans une quasi-prédestination, fait que la Chine fascinera toujours la France et ce pour des raisons qui ne sont pas d'abord commerciales mais culturelles et sensibles. Les jeunes artistes français qui aujourd'hui vont en Chine dans le cadre de la résidence Yishu 8, et qui ont la possibilité de vivre la Chine de l'intérieur, s'y sentent heureux, comme s'ils découvraient une famille éloignée, différente de celle qu'ils ont quittée, mais révélant une étonnante et presque indicible proximité de cœur. De même les artistes chinois qui arrivent en France à la Cité internationale des arts de Paris ou au Nouvel Institut franco-chinois de Lyon s'y sentent accueillis comme des cousins d'une même famille.
Les relations du couple franco-chinois ne se résument donc pas aux titres des journaux ni aux peurs et aux insatisfactions de l'opinion publique. Elles reposent sur des hommes et des femmes engagés qui ne suivent pas plus le vent des virus que celui des intérêts américains. La crise du Covid-19 fragilise apparemment le couple, mais le dépit de l'un des partenaires ne doit pas remettre en cause l'aventure engagée. Le choix de la Chine aujourd'hui, à l'heure du Covid-19, est un choix qui s'inscrit dans une histoire et un engagement réciproque. Comme tout choix sérieux, il rend nécessaire un certain travail et se confirme dans la constance. De même et comme dans un couple, la Chine a intérêt elle aussi à entendre les inquiétudes de sa partenaire, non pas pour se justifier, mais pour tenter de les réduire en s'adressant à elle plus directement et peut-être avec plus de confiance et d'humour.
(L'auteur est Christine Cayol, philosophe et Fondatrice de Synthesis et de Yishu 8 (Pékin-Paris))