Dernière mise à jour à 08h25 le 24/05
Devant la mairie du village d'Iidate, dans la préfecture japonaise de Fukushima (nord-est), se tient un appareil de mesure précise des radiations. Sur son écran figure un chiffre en rouge : 0,38 microsievert/heure.
En regardant le résultat, Yoichi Tao, un bénévole diplômé de physique, sourit avec dérision. "Ce chiffre est très bas", dit-il en pointant du doigt l'instrument de mesure modeste. Sur "l'appareil de mesure que nous avons nous-mêmes installé", poursuit-il, "le chiffre affiché est huit à dix fois supérieur au chiffre officiel".
Iidate est situé à environ 40km de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, qui a été endommagée en mars 2011 par le tsunami provoqué par un fort séisme.
PERSISTANCE DU RISQUE D'EXPOSITION AUX RADIATIONS
Pourquoi ces chiffres diffèrent-ils autant? "Ce bel appareil de mesure a été installé par le gouvernement après le nôtre", rappelle M. Tao. "L'armée a été envoyée en amont pour éliminer les traces de radiation nucléaire sur le terrain voisin, de sorte que le chiffre officiel reste très faible. Voilà comment le gouvernement a procédé".
Toshihide Tsuda, professeur d'épidémiologie environnementale à l'Université d'Okayama (sud), a découvert que le taux d'enfants souffrant de cancer de la thyroïde dans la préfecture de Fukushima était de 20 à 50 fois plus élevé que le taux moyen national relevé en 2014, soit trois ans après la catastrophe.
Cependant, cacher la vérité ne fera pas oublier les gens, mais cela a en revanche suscité un mécontentement public.
Un sondage mené conjointement par le quotidien national Asahi Shimbun et des médias locaux de Fukushima a montré en 2015 que plus de 70% des habitants de Fukushima n'étaient pas satisfaits de la gestion de la crise par le gouvernement. Leur inquiétude porte sur la mauvaise santé des enfants de la région, en particulier le cancer de la thyroïde, l'une des conséquences possibles des radiations nucléaires.
Au cinquième anniversaire de la catastrophe, des parents d'enfants atteints de ce type de cancer dans la préfecture de Fukushima ont formé un groupe de soutien pour demander au gouvernement de fournir des preuves convaincantes que les souffrances de leurs enfants ne sont pas liées à l'incident nucléaire.
UNE VOLONTE D'OUBLI DU GOUVERNEMENT
Le gouvernement japonais a admis en août 2013 qu'au moins 300 tonnes d'eau hautement contaminée s'écoulaient librement tous les jours vers l'océan Pacifique, et le problème persisterait pendant plusieurs siècles.
Toutefois, un mois après, alors que le Japon déposait sa candidature pour accueillir les Jeux olympiques 2020, M. Abe a assuré la communauté internationale que la crise était "totalement sous contrôle".
Par ailleurs, il a été révélé en février dernier que Tokyo Electric Power Company (TEPCO), exploitant de la centrale nucléaire de Fukushima, avait découvert plusieurs cas de fusion dans les réacteurs de la centrale après le tsunami, mais cette information n'a été dévoilée que des mois plus tard.
Yuko Yoshida, secrétaire générale au Japon du Réseau d'enquête sur la santé et de soutien aux victimes de Tchernobyl, a mis le doigt sur l'attitude différente des médias japonais devant les accidents nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima.
Elle a relevé qu'au cours des trois dernières décennies, les médias nippons traditionnels ont constamment fixé leur regard sur Tchernobyl. Pourtant, après Fukushima, ils ont presque tous renoncé à mener des enquêtes approfondies et des reportages sur les risques liés à la santé causés par la catastrophe nucléaire nippone.
Dans un éditorial paru dans le quotidien français "Le Monde" à l'occasion du cinquième anniversaire de l'accident nucléaire de Fukushima, l'auteur a indiqué que le gouvernement de M. Abe était "prêt à tourner la page de Fukushima" et faisait preuve d'une "volonté d'oubli".
APPEL A UNE ENQUETE INDEPENDANTE
Selon Ken Buesseler, chercheur principal à l'Institut océanographique Woods Hole, une organisation privée américaine à but non lucratif, le gouvernement japonais n'a pas fait un bon travail de communication auprès de l'opinion.
Cette communication doit être améliorée, de sorte que le grand public puisse en savoir plus sur le niveau de contamination nucléaire et ses possibles effets sur la santé publique, a-t-il proposé.
L'expert, qui étudie les effets de cet accident nucléaire sur l'environnement maritime depuis 2011, a confié à Xinhua que l'impact était sans précédent, puisque 80% des substances radioactives s'écoulent dans la mer.
Cependant, le gouvernement japonais assure toujours que tout est "totalement sous contrôle", et qu'il n'y a aucun impact négatif sur l'environnement.
Compte tenu de la manipulation par les autorités, une enquête indépendante menée par des experts internationaux est nécessaire pour révéler la vérité sur la catastrophe et notamment les conséquences des rejets en mer allant bien au-delà des frontières japonaises, a indiqué M. Buesseler.